Ce n’était un secret pour personne, durant mes trente années d’une carrière qui prend fin aujourd’hui, j’ai été un journaliste engagé. Mon éducation, mon vécu et mon environnement ont façonné ma manière de décrypter la politique, la géopolitique, l’économie et la société. Ma pensée a aussi trouvé sa source dans Depending on One Another, mon premier livre d’économie simplifiée de John Garrett. A 12 ans, alors écolier dans ma lointaine île Maurice natale, j’apprenais que la Suisse est la capitale mondiale du chocolat alors même qu’elle ne produit pas une seule fève de cacao. Le miracle tient aux échanges internationaux. Bien plus tard, je comprendrai que ceux-ci peuvent se révéler inéquitables.

Lire aussi: Les Etats-Unis bloquent les réformes du FMI

Ma grande chance est que mes différents rédacteurs en chef ne m’ont jamais imposé une quelconque ligne éditoriale, si ce n’est la plus belle, celle qui exige indépendance d’esprit et honnêteté intellectuelle. Des valeurs qui me collaient de toute manière déjà à la peau.

Dernier exemple en date: le grand débat sur l’accès aux vaccins lors de la pandémie de Covid-19. Si les règles de protection de la propriété intellectuelle me paraissent pertinentes, je crois aussi aux dérogations que les négociateurs ont eu l’intelligence de prévoir, pour des cas d’urgence. En 2020-2021, l’industrie pharmaceutique européenne et américaine, avec la complicité de ses Etats, en a pourtant empêché l’application.

Plus souvent qu’à mon tour, j’ai ainsi été l’homme des causes perdues. Notamment sur les relations entre la Suisse et l’Union européenne. J’étais le correspondant du Temps à Bruxelles en février 2014 lorsque la voix populaire a accepté l’initiative «Contre l’immigration de masse» de l’UDC. Cette décision hante encore aujourd’hui nos rapports, difficiles, avec nos voisins immédiats.

Reste que je suis heureux d’avoir participé à décrypter des sujets dont les tenants et aboutissants sont complexes. Voici quatre exemples qui me sont chers et pour lesquels des réformes s’imposent.

De la démocratisation du FMI

Le Fonds monétaire international (FMI), le gendarme de l’économie mondiale, est clairement au service de ses grands actionnaires, notamment les Etats-Unis. Avec ses 15% des droits de vote, Washington jouit encore d’un droit de veto sur toutes les décisions.

Autre arrangement non écrit entre vieilles puissances: le poste de directeur de cette institution revient toujours à un ressortissant européen et celui de la Banque mondiale, l’institution sœur, à un Américain.

Les multinationales doivent payer des impôts justes

Les multinationales réalisent des bénéfices en milliards, mais savent manier l’ingénierie comptable pour minimiser leurs impôts. Notamment en transférant les revenus dans les paradis fiscaux où le taux d’imposition est bas. L’OCDE tente de fixer un taux d’imposition minimum pour en finir avec la concurrence fiscale dommageable entre Etats. En revanche, ce n’est pas demain la veille que les grandes sociétés s’acquitteront de leurs impôts là où elles réalisent les bénéfices.

La fiscalité internationale se décide à l’OCDE, le Club des pays riches. La création d’une Organisation mondiale de la taxation sous les auspices de l’ONU serait plus logique et surtout plus inclusive.

Lire également: L’ONU, et non l’OCDE, devrait traiter de la fiscalité internationale

Les vils prix des matières premières agricoles

Les pays producteurs de café ou de cacao produisent et vendent toujours plus mais sans que leurs revenus augmentent. Il y a quelques années, le ministre ivoirien de l’Agriculture relevait des chiffres chocs au Salon de l’agriculture de Paris: l’industrie chocolatière mondiale génère 100 milliards de dollars par an, mais les pays producteurs n’en tirent que 6%, avec à peine 2% allant aux paysans. A quand une OPEP efficace et forte du cacao qui ferait face aux acheteurs? Eux – Nestlé, Barry Callebaut, Lindt, Mars, Cadbury’s et autres – se sont regroupés pour négocier les meilleurs prix et imposer leurs conditions.

Lire aussi: L’Afrique exige une part décente du gâteau au chocolat

La mondialisation, c’est pour tout le monde

Les pays riches sont devenus prospères grâce au commerce, mais font aujourd’hui barrage à la concurrence émergente en ignorant des règles qu’ils ont eux-mêmes écrites. Les surtaxes douanières pénalisent importateurs et exportateurs.

Les Etats-Unis et l’Europe ont raison de réduire leur surdépendance envers l’Asie. Les relocalisations sont donc une bonne idée. Même si pour la Chine en particulier, elles représentent une bonne nouvelle. Le départ d’usines de textile par exemple libère les investissements et les énergies pour une production nationale à plus forte valeur ajoutée.

Le Temps publie des chroniques et des tribunes – ces dernières sont proposées à des personnalités ou sollicitées par elles. Qu’elles soient écrites par des membres de sa rédaction s’exprimant en leur nom propre ou par des personnes extérieures, ces opinions reflètent le point de vue de leurs autrices et auteurs. Elles ne représentent nullement la position du titre.