OPINION
OPINION. Le récent rapport de la Commission romande de diffusion des spectacles (Corodis) a été interprété comme pointant une suroffre artistique entraînant une précarisation des artistes. C’est passer à côté de l’essentiel, selon le Syndicat suisse romand du spectacle, qui regarde du côté des théâtres et des pouvoirs publics

Le récent rapport de la Corodis sur le système des arts de la scène de Suisse romande suscite des débats passionnés dans le secteur des arts de la scène, notamment parce que ce rapport remet en question la façon dont ce secteur est soutenu. Il faut en préambule rappeler que la culture sort très affaiblie par les années covid. Et que la crise est loin d’être finie. Il suffit de regarder les récentes annulations en Suisse et en Europe qui nous rappellent que l’horizon n’est pas encore dégagé. Les acteur·es culturel·les (comme d’autres secteurs de la société) sont inquiet·ètes pour leur survie.
C’est dans ce contexte que ce rapport préconise le ralentissement d’un système dont l’étude pense qu’il est en surchauffe. Le discours public autour de cette analyse s’est focalisé à tort sur un seul des éléments: le nombre de spectacles et de compagnies indépendantes. Une conclusion rapide et simpliste en a parfois été tirée: diminuons le nombre de projets/compagnies soutenus, et par miracle la précarité disparaîtra du paysage des arts de la scène.
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Les institutions peuvent agir
Or, à lire attentivement cette étude, il y a bien d’autres aspects qui sont relevés, notamment le rôle que doivent jouer les théâtres pour que ce système devienne plus vertueux. L’étude montre en effet «l’asymétrie des relations entre théâtres et compagnies en révélant l’inconsistance et l’inconstance des montants perçus par ces dernières». Il faut rappeler ici en effet qu’une partie importante des fonds publics qui soutiennent les arts de la scène vont aux «théâtres» qui ont donc un rôle central à jouer pour que les acteur·es culturel·les sortent de la précarité. Il faut donc affimer qu’avec le soutien qu’ils reçoivent viennent des responsabilités.
On ne peut donc que s’étonner devant les propos tenus par le président de l’Union des théâtres romands sur le plateau de Léman Bleu. Les institutions qu’il représente ont des moyens (artistiques et financiers) pour participer à la lutte contre la précarité. Elles peuvent agir sur la durée des contrats, les prix de cessions, le niveau des salaires notamment. Elles peuvent soutenir les créations romandes plutôt que de regretter leur foisonnement.
De leur côté, les pouvoirs publics ont aussi un rôle à jouer pour que, par exemple, les sommes versées par les théâtres pour un spectacle (prix de cession) permettent de financer réellement le travail effectué par les acteur·es culturel·les. Ils peuvent aussi soutenir le travail de recherche et favoriser les reprises.
Tout un système à repenser
Finalement, ce que montre cette étude c’est que tout le système est à repenser. Cela peut aussi vouloir dire questionner les équilibres financiers entre la création indépendante et l’institution, entre les différents secteurs culturels (on peut penser à l’indigence du soutien aux musiques actuelles) et aux formes d’art. Enfin, cela amène à questionner les règles des administrations qui contraignent dans les faits à la création d’une multitude de «microentreprises» puisqu’elles ne permettent pas, par exemple, de soutenir des collectifs d’artistes. Et finalement aussi à se demander pourquoi de bonnes pratiques, notamment en matière salariale (on pense au salaire minimum de la CCT qui devient souvent un salaire considéré comme normal alors que c’est un salaire d’entrée de carrière), ne sont pas plus largement exigées par les autorités. Le SSRS a adopté une échelle salariale qui permet de valoriser les années d’expérience. Nous souhaitons qu’elle serve de référence pour les employeur·es et les subventionneur·euses.
Penser que les problèmes soulevés par cette étude seront réglés en diminuant simplement le nombre de compagnies soutenues est une aberration. Si on veut s’attaquer au problème de la précarité des acteur·es culturel·les, il faut le faire en concertation avec eux et leurs associations. Le Syndicat suisse romand du spectacle demande que ce soit fait rapidement.
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Anne Papilloud est secrétaire générale du Syndicat suisse romand du spectacle. Vincent Babel et Jean-Pierre Potvliege en sont les co-présidents.
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