Opinion
Le droit de requérir l’expropriation, lorsque l’intérêt public est en jeu, est loin d’être une nouveauté, et ceci aussi bien au niveau cantonal qu’au niveau fédéral. C’est pourquoi, ceux qui en brandissent le spectre dans le référendum contre la loi sur l’asile font dans la provocation, estime Robert Cramer, conseiller aux Etats genevois

Disons-le d’emblée, pour ceux qui ont fait campagne, en 2013, contre les modifications urgentes de la loi sur l’asile, lesquelles ont été acceptées à une large majorité par tous les cantons suisses, il n’est guère agréable d’avoir à voter à nouveau sur ces mêmes dispositions le 5 juin 2016. Je pense en particulier à l’interdiction de déposer des demandes d’asile dans les ambassades suisses ou à l’exclusion du statut de réfugié pour les déserteurs, deux mesures que j’ai combattues sans succès en 2013 et qui figurent dans le texte mis en votation.
Mais aujourd’hui, c’est d’autres dispositions qui font l’objet du débat, en particulier l’art. 95b qui prévoit que le Département fédéral de justice et police peut «au besoin» requérir l’expropriation pour disposer des constructions et des installations nécessaires à héberger des requérants ou à exécuter des procédures d’asile.
Etrange opposition
L’opposition à cette disposition est étrange dans la mesure où le droit de requérir l’expropriation, lorsque l’intérêt public est en jeu, est loin d’être une nouveauté, et ceci aussi bien au niveau cantonal qu’au niveau fédéral.
Concernant la Confédération, c’est une loi bientôt centenaire – elle a été adoptée le 20 juin 1930- qui en fixe les modalités d’application. Et il va de soi que non seulement la décision d’expropriation est sujette à recours mais que, de plus, l’autorité est tenue d’appliquer le principe de subsidiarité. En d’autres termes, il faut renoncer à procéder à une expropriation si celle-ci n’est pas indispensable. Cette exigence a déjà été évoquée à plusieurs reprises par Madame la Conseillère fédérale Sommaruga, qui a eu l’occasion de souligner que l’expropriation n’intervient qu’à titre exceptionnel si aucune autre solution ne peut être trouvée. C’est dire que la portée réelle de la disposition rendant possible l’expropriation est très limitée, vraisemblablement elle n’aura pas à être mise en œuvre, son effet dissuasif devrait suffire.
De nombreuses lois fédérales prévoient l’expropriation
A ces considérations d’ordre général, il faut ajouter que de nombreuses lois fédérales prévoient expressément la possibilité d’exproprier, voire même de déléguer cette prérogative à des cantons ou de l’exercer en faveur d’entreprises. On trouve une telle disposition dans la loi sur l’utilisation des forces hydrauliques, une législation remontant à 1916!
Dans les domaines les plus variés, les clauses autorisant les expropriations sont fréquentes. Et à vrai dire, cela n’a rien de surprenant. Il ne serait pas raisonnable qu’un opposant têtu, en achetant quelques m2 de terrains, puisse faire obstacle à un chemin de fer ou à une route voulue par la collectivité publique. De même, l’on ne peut pas renoncer à une ligne électrique indispensable parce que le propriétaire du champ n’aime pas les pylônes. Et l’on ne va pas renoncer à des ouvrages militaires ou à des mesures qui s’imposent en matière de protection de la nature ou de l’environnement parce qu’elles déplaisent à telle ou telle association.
Notre droit permet de contester l’utilité publique d’un ouvrage, même dans les cas où la population a été consultée, mais lorsque cette utilité publique est admise, l’intérêt personnel doit s’effacer devant l’intérêt collectif.
Paradoxal et choquant
En l’occurrence, il est évident que la politique de l’asile relève de la politique nationale. Les principes sur lesquelles repose la politique suisse en la matière ne sont pas imposés arbitrairement à la population. Ils ont fait l’objet de plusieurs consultations populaires au cours desquelles une législation très restrictive a été adoptée. Il est paradoxal – et à vrai dire choquant – que ceux qui ont obtenu gain de cause lors de ces diverses votations veuillent aujourd’hui en empêcher la mise en application. Ils pratiquent ainsi la politique du pire ou plutôt celle du pompier-pyromane qui crée le trouble et le chaos pour pouvoir ensuite le dénoncer.
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