La loi sur les jeux d’argent et l’initiative «Monnaie pleine», qui seront votées le 10 juin, ont une préoccupation commune: protéger les citoyens. La première veut protéger les adeptes de jeux de «casino» contre les risques que ces derniers comportent, tels que «dépendance, escroquerie ou blanchiment d’argent», selon les termes du Conseil fédéral.

L’initiative «Monnaie pleine» veut protéger l’argent de tous les citoyens contre les risques des casinos bancaires, bien plus importants que ceux des maisons de jeux, car ils mettent en danger l’ensemble de l’économie et de la société, c’est-à-dire tous ceux qui ne tirent aucun bénéfice de ces jeux et qui n’y ont même pas pris part. Pourtant, en rejetant l’initiative «Monnaie pleine», le Conseil fédéral et le parlement souhaitent que la protection contre la dépendance et l’escroquerie soit réservée à la seule minorité des joueurs de casino. On peut se demander en fait si notre gouvernement et nos élus ne veulent pas protéger les casinos – bancaires ou non – plutôt que les citoyens.

Consultez notre dossier: «Monnaie pleine», un débat singulier

La dépendance aux casinos bancaires vient du système monétaire actuel

Les crises financières et économiques sont principalement provoquées par les risques inconsidérés que prennent les banques pour maximiser leurs profits. On se rappellera celle de 2008 et l’on sera attentif à la bulle immobilière qui menace aujourd’hui notre pays (avec un record mondial d’endettement hypothécaire). La réglementation bancaire actuelle n’a jamais réussi à éviter la crise suivante, car elle ne s’attaque pas à la racine du problème: la création monétaire privée par les banques commerciales.

La privatisation de notre devise nationale nous prive de notre souveraineté monétaire et de ses gains, qui devraient revenir à la collectivité

Ces dernières produisent aujourd’hui 90% de notre argent, soit la totalité des avoirs électroniques de nos comptes. Cela signifie que, pour pouvoir utiliser un moyen de paiement électronique, nous sommes tous obligés de devenir les créanciers d’une banque en devant supporter ses risques économiques, sans pouvoir participer à ses bénéfices. La faillite d’une banque systémique entraîne la perte de nos avoirs et la nécessité de la sauver avec l’argent du contribuable. De plus, 80% de l’argent créé par les banques alimentent les marchés spéculatifs, qui ne produisent rien, mais provoquent des bulles qui doivent être épongées par ceux qui n’en ont pas profité. Quant à l’économie réelle, qui produit les richesses et les emplois, elle n’est que peu soutenue par cet excès de liquidités, puisque les PME suisses se sont vu réduire leurs crédits de 40% durant ces dix dernières années. Il faut donc constater que le pouvoir de création monétaire confié aux banques commerciales est principalement utilisé pour leurs propres profits, au détriment de l’intérêt général du pays et des citoyens.

Nos autorités nous disent pourtant que le système bancaire fonctionne bien. Vraiment? Entre 2009 et 2017, les banques suisses ont payé à l’Allemagne, à la France et aux Etats-Unis des amendes et indemnités pour fraudes fiscales, blanchiment d’argent et nombreuses autres infractions totalisant un montant de 20 milliards de francs. Cela représente les salaires de 5000 employés durant quarante ans! Et pour cela, les directeurs des banques touchent des rémunérations hors mesure, comme les 14,2 millions versés par UBS à son directeur Sergio Ermotti en 2017. Au vu de leurs comportements, est-ce judicieux de confier aux banques commerciales l’énorme responsabilité du contrôle de la masse monétaire? Méritent-elles une telle confiance alors qu’elles sont continuellement en infraction avec la loi?

Privilège injustifié des banques

La privatisation de notre devise nationale nous prive de notre souveraineté monétaire et de ses gains, qui devraient revenir à la collectivité. Elle nous rend dépendants de la finance internationale, de ses casinos et de ses escroqueries. Aujourd’hui, les banques commerciales privées ont un pouvoir extraordinaire sur les marchés grâce à leur privilège de création monétaire, tout en étant parties prenantes à ces marchés. N’est-ce pas de la triche? Accepterions-nous que l’arbitre d’un match joue avec l’une des deux équipes, ou qu’un juge soit partie prenante à un conflit? La garantie fondamentale de la justice est l’impartialité et l’indépendance. Nous sommes tous d’accord avec ce principe. Alors pourquoi ne pas l’appliquer à l’argent, qui est un pouvoir encore bien plus grand que celui de la justice?

L’initiative «Monnaie pleine» propose une solution simple et de bon sens: que la Banque nationale suisse, institution indépendante et tenue par l’intérêt général, nous livre directement le franc suisse électronique, comme c’est déjà le cas pour les pièces et les billets, sans que nous n’ayons à passer par des entremetteurs qui se «sucrent» au passage, nous impliquent dans leurs pertes, sans partager leurs bénéfices, et nous rendent dépendants de leurs jeux de casino en mettant notre économie et notre société en danger. Il est temps de nous protéger en disant «OUI» à l’initiative «Monnaie pleine»!

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