Nous aurions plus de choix? Pas tout à fait…
Entre-Temps…
CHRONIQUE. Les entreprises tendent à créer des écosystèmes qui enferment le consommateur dans un système de choix propriétaires

La nouvelle génération de consommateurs est celle du choix et du sur-mesure. C’est la conséquence d’une société plus ouverte où les mentalités privilégient la liberté et l’individualisme. Mais pour les entreprises, c’est un casse-tête. Car toutes les stratégies visent le contraire: fidéliser le consommateur et l’empêcher d’aller voir ailleurs.
Avoir le choix est une évidence pour toute une génération. Il est impensable qu’il en ait été un jour autrement. Et pourtant, certains d’entre vous se rappelleront l’époque où il n’y avait qu’une ou deux chaînes de télévision et autant de radio, où les compagnies aériennes et de télécommunication étaient nationales et uniques par pays, tout comme l’acheminement des lettres et des paquets.
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Aujourd’hui, l’habitant de Los Angeles qui allume sa télévision a le choix entre 157 chaînes gratuites. En Europe, huit satellites inondent le marché de dizaines de bouquets numériques payants. Puis il y a internet: une société comme MUO propose un abonnement à plus de 3000 chaînes TV de tous les continents.
Le choix se combine avec le sur-mesure. Les émissions de télévision peuvent désormais se regarder à la demande, tout comme les films sur Apple TV, Amazon Vidéo ou Netflix. La nouvelle génération sélectionne ses titres audio un par un pour faire sa propre playlist. Il est de plus en plus rare d’acheter tout un album.
Les entreprises ont donc adapté leur offre. Nike a créé «Nike by You», un site qui permet aux consommateurs de créer leurs propres chaussures sur mesure en choisissant le style, la couleur, le design, etc. Le slogan du site résume bien la stratégie de Nike: «Juste vous, nous et des millions de possibilités».
Saturer l’attention du consommateur
Les stratégies de choix à l’excès visent à saturer l’attention du consommateur pour éviter précisément qu’il ne se disperse sur d’autres offres. Pour cela, les entreprises créent des écosystèmes verticalement intégrés qui enferment le consommateur dans un monde de choix propriétaires.
Microsoft, Google, Amazon ou Tencent avec WeChat suivent cette stratégie. Elles multiplient l’offre intégrée de produits et de services qui incluent de plus en plus souvent des services financiers. Ant Financial, la plateforme de paiement d’Alibaba, propose aussi du crédit, des assurances ou de la gestion de fortune. Facebook travaille sur un projet, Libra, qui créerait sa propre cryptomonnaie pour des transactions sur toutes ses entités, soit 2,4 milliards d’utilisateurs.
Pour avoir le choix, le consommateur doit d’abord appartenir à un écosystème. Ces offres intégrées capturent le client tout en lui donnant l’impression de la liberté. On appartient ainsi au monde Apple, Samsung ou Google. Difficile de passer de l’un à l’autre.
C’est aussi un casse-tête pour les autorités de surveillance de la concurrence. Les entreprises mettent en avant l’avantage pour le client d’un système de services intégré, comme l’avait fait en son temps Microsoft et sa suite Office. Les autorités reprochent le manque de passerelle, de transparence et d’interopérabilité des écosystèmes. Le consommateur, lui, ronge son frein.
En quête d’un vrai choix et d’une certaine indépendance
Car ce serait une erreur de sous-estimer son désir d’indépendance. Selon l’OCDE, les jobs indépendants représentent désormais 15,5% de l’emploi en Europe (et 14,7% en Suisse). Un tiers des électeurs en Europe et aux Etats Unis se déclarent libres de tout parti. Ils n’hésitent plus à transgresser les lignes politiques selon les sujets. Ils créent leur propre «playlist idéologique».
Il en va de même pour la vie économique. Les consommateurs font pression sur les gouvernements pour que soient garantis un vrai choix et une certaine indépendance. Ils seront entendus. La stratégie de certaines entreprises «Oui, les consommateurs ont le choix, à condition que ce soit le nôtre» sera de plus en plus intenable. Les règles et les lois se multiplieront. Certains voudront démanteler.
Comme le disait Keynes: «Tous les problèmes sont économiques, toutes les solutions sont politiques.» A la fin, les gouvernements gagnent toujours sur les entreprises.
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