Quelle piètre image des grandes banques suisses…

Daniel Fortis, Conches

Depuis plusieurs années, j’apporte un soutien à l’association humanitaire suisse Medicuba. Elle aide les hôpitaux cubains victimes d’un pervers et interminable embargo. En début d’année, je donne des instructions à l’une des plus grandes banques suisses afin de transférer un don. Quelques jours plus tard, je constate que mon virement a été bloqué avec la mention «la banque ne fait pas de telle transaction». Surpris, je contacte un conseiller pour obtenir des explications. J’apprends que Donald Trump, treize jours avant la fin de son mandat, a signé un décret. Dans un ultime délire, il a placé Cuba sur la liste des pays soutenant le terrorisme! Immédiatement, avec servilité, la banque active de nouveaux algorithmes et bloque mon transfert.

Abasourdi par un tel asservissement au chantage américain, je demande des explications. La réponse est un amalgame alambiqué et spécieux d’énigmatiques dispositions légales et réglementaires «sur le plan mondial» ainsi que de risques potentiels liés à ce versement! Quel risque? Celui d’être réprimandé par la place financière américaine? Cette pusillanimité est accompagnée d’une déclaration hypocrite que cette décision n’est, en aucun cas, liée à une quelconque motivation politique. Comment ma banque et beaucoup d’autres grandes banques suisses peuvent-elles s’avilir au point de refuser un transfert d’un don humanitaire à une association suisse reconnue et certifiée? Comment nos instances fédérales tolèrent-elles de telles entraves? L’honneur, l’indépendance et la neutralité ont-ils encore un sens?


Des experts hors de leur zone d’expertise

Joseph Gaudard, Bergen (Norvège)*

A propos de cet article: Selon le nivologue Robert Bolognesi, «on skiera encore en 2050»

Sur un article de 1800 mots, 665 sont consacrés aux prévisions climatiques à long terme et au changement climatique, 310 à la nivologie et au risque d’avalanche, et 800 présentent M. Bolognesi et son avis sur l’industrie du ski.

J’ai pu identifier 17 publications scientifiques dont M. Bolognesi est cité comme auteur: 14 dans le domaine des avalanches, sa thèse de doctorat sur la prévision des phénomènes catastrophiques et deux sur la prévision des risques de feu de forêt. A la lecture du catalogue des Editions Le Vent des Cimes, dont M. Bolognesi est le fondateur, et de son CV, disponible sur la page internet de Meteorisk, il ne fait aucun doute que M. Bolognesi est un expert dans le domaine de la météorologie et de la neige, et en particulier des avalanches.

En revanche, je n’ai pas été en mesure de trouver une seule publication scientifique à son nom dans le domaine des prévisions climatiques à long terme ou du changement climatique. Du reste, ces thèmes ne sont pas non plus mentionnés sur son CV.

Ses propos sur le changement climatique ne sont donc ni plus ni moins qu’un avis éclairé. Utiliser son statut d’expert en nivologie et danger d’avalanche pour parler de changement climatique (et au passage jeter le doute sur l’expertise du GIEC) tient pour moi de l’usurpation. L’article ne fait pas mention du fait qu’il s’agit ici de son avis personnel, certes éclairé, mais en dehors de son champ d’expertise scientifique. Au contraire, l’avis de M. Bolognesi figure même dans le titre.

En ces temps de crise de l’information et de mise en doute des notions d’expertise et de consensus scientifique (Why Trust Science?, Naomi Oreskes), il serait bien plus judicieux d’interroger les experts dans leur domaine d’expertise et non pas à côté.


Le marché et l’idéologie

Blaise Bonvin, Saint-Prex*

Le texte «Les «gilets jaunes» à Wall Street» de M. Wyplosz mérite quelque attention. Une affirmation intrigante ouvre le bal: «Les bourses ne sont pas du tout déconnectées de la réalité». D’accord. Prenons Uber. Cette entreprise n’a jamais gagné 1$ net (elle en a perdu 20 milliards), mais vaut en bourse à ce jour près de 100 milliards. Cela représente une connexion assez faible entre bourse et réalité. Ou alors, c’est vrai, une connexion inversée.

Relire: Les «gilets jaunes» à Wall Street

On pourrait démultiplier les exemples, mais le plus étonnant est ailleurs, et vient confirmer l’impression de malaise à cette lecture. En effet, selon l’auteur, «marché et idéologie ne font jamais bon ménage». Le marché ne serait donc pas une idéologie? La réponse est dans ce même texte. En effet, un peu plus haut, l’auteur, faisant référence au cours de l’argent, doit préciser «le métal», car ce qu’on appelle l’argent n’est en fait pas (plus) de l’argent. La base du marché est un mot qui décrit non pas une réalité (un métal) mais une idée (un moyen de paiement accepté par tout le monde comme ayant une valeur non pas en soi, mais symbolique, valeur n’existant que sur la confiance). Et ce marché ne serait pas une idéologie? Une idéologie, cela revient à faire passer pour vraie une idée théorique (parfois fausse), dans notre cas: cuivre + nickel = argent. L’idéologie ici frôle la magie.

Il ne s’agit pas de savoir si c’est une bonne ou une mauvaise idéologie, mais de se rendre compte que ce n’est pas parce qu’elle est dominante qu’une idéologie n’en est plus une. Alors marché et idéologie font très bon ménage, oui, et tourbillonnant sur eux-mêmes, très bon manège.


Sur les élections à Vevey (1)

Janine Panchaud, Vevey

Votre article du 12 février sur les élections municipales à Vevey m’a profondément déçue.

Relire: A Vevey, reconstruire sur des ruines

En effet, pour un sujet aussi sensible et aussi exceptionnel dans notre canton de Vaud, j’aurais pu m’attendre à une analyse objective de la part d’un journal qui se prétend un journal d’opinion. L’intervention de deux interlocuteurs avec une approche différente aurait été une option digne de votre journal.
Or n’interviewer que Pierre Chiffelle, qui n’a pas laissé le meilleur des souvenirs lors de son passage au Conseil d’Etat, démontre ainsi votre manque d’objectivité et votre parti pris.
C’est la première fois que je vous le fais remarquer mais je l’ai noté à plusieurs reprises et… toujours dans le même sens! Je suis à ce point déçue que je songe sérieusement à résilier mon abonnement. A quoi sert en effet votre journal si vous m’imposez votre opinion orientée?


Sur les élections à Vevey (2): les enjeux

Fawzi Mellah, écrivain, Vevey

Le 7 mars auront lieu les élections communales. Beaucoup de Veveysans attendent ce rendez-vous avec impatience. C’est que, à Vevey, les problèmes n’ont cessé de s’accumuler alors que les citoyens attendaient mieux que les conflits internes qui ont pesé sur le Conseil municipal et les divergences de toutes sortes qui ont bloqué les décisions les plus urgentes.

Quelle que soit leur couleur politique, les nouvelles autorités auront de grands chantiers à gérer.

D’abord, ramener le calme au sein du Conseil municipal lui-même. Les Veveysans ont assisté ces dernières années à tant de querelles entre les municipaux qu’ils ne savent plus à quel saint se vouer. Affaires judiciaires, embrouilles, incompatibilités d’humeur, divergences étalées sur la place publique… On ne nous a rien épargné… Il faut alors admettre qu’au-delà des hommes, c’est la formule politique elle-même qui n’a pas fonctionné. Une majorité claire et indiscutable au sein du Conseil municipal serait un des remèdes à proposer aux Veveysans.

Rétablir l’équilibre des comptes de la commune. En effet, les autorités actuelles ont laissé filer le déficit budgétaire. Oubliant qu’on ne peut vivre longtemps au-dessus de ses moyens. Le déficit d’aujourd’hui étant l’impôt de demain…

Lutter contre le sentiment d’insécurité qui est en train de s’emparer des franges les plus fragiles de la population. Les personnes âgées, les jeunes, les femmes isolées avouent de plus en plus avoir peur de sortir dans leur ville après une certaine heure. Réalité ou simple impression? Peu importe! Vevey – la perle de la Riviera – se doit d’offrir à ses citoyens la sérénité qu’ils méritent.

Boucler dans des délais raisonnables l’aménagement de la place du Marché et le nouveau plan de circulation. Les Veveysans attendent depuis si longtemps ces aménagements qu’ils ne comprennent pas que l’on veuille encore noyer le problème en le confiant à une énième commission technique.

Enfin – et ce sera le plus dur – essayer d’attirer à Vevey les entreprises susceptibles de créer des emplois et d’ajouter une plus-value à cette ville qui ne demande qu’à rayonner…


Lettre persane. Vers une police vestimentaire?

François Bugnion, Chambésy

De Genève, le 4 de la lune de Esfand 1399

Mon cher Rustan,

J’ai rendu grâce à Dieu pour ta bonne lettre. Il n’y a pas de plus grand bonheur quand on est loin des siens que de recevoir des nouvelles de sa famille, de ses amis et de notre belle ville d’Ispahan. Que Dieu veille sur elle et sur chacun de vous.

Tu me demandes des nouvelles de l’Helvétie, les voici. Tu sais que j’y suis venu pour goûter l’air des montagnes et respirer le vent de liberté qui souffle sur cet heureux pays. Or, je me suis retrouvé au milieu d’une grande agitation. Non seulement en raison de la peste pulmonaire qui fait des ravages dans le monde entier, mais aussi en raison d’une question qui divise les esprits et échauffe la bile.

Je t’ai expliqué dans ma dernière lettre que si un groupe de citoyennes et de citoyens signent une pétition – qu’on appelle initiative – le Conseil des Sept Vizirs doit la soumettre au peuple et suivre l’opinion de la majorité. Chacun met une petite croix dans une case, et c’est décidé.

Or, quelle est la question existentielle qui divise aujourd’hui ce pays? La place de l’Helvétie dans la nouvelle Europe, l’avenir de l’armée, les banques, les impôts, la Constitution, la pandémie? Que non pas! C’est la question de savoir si les femmes musulmanes ont le droit de sortir de chez elles le visage couvert.

Il s’agit en somme d’appliquer la charia, comme au Royaume des Saoud, mais à l’envers. En Arabie, si une femme va au souk le visage découvert, vingt coups de fouet. Dans l’Helvétie de demain, si une femme sort de chez elle le visage couvert, vingt écus d’amende.

La question est d’autant plus saugrenue qu’en raison de la peste, le port du masque est obligatoire. Ainsi, si la peste se prolonge et si l’initiative est acceptée, chacun aura l’obligation de porter le masque dans les marchés, les magasins, les calèches, sauf les femmes musulmanes, à qui le port du masque sera interdit.

Il s’agit, paraît-il, «de libérer la femme musulmane». Mais, je te le demande, mon cher Rustan, a-t-on jamais libéré qui que ce fût avec des interdits?

Inutile de dire que cette nouvelle règle ne s’appliquera pas aux riches saoudiennes qui accompagneront leurs maris dans les bijouteries de Genève, Zurich ou Zermatt. Celles-ci pourront être couvertes de la tête aux pieds, elles seront toujours les bienvenues, pour autant que leurs maris achètent de beaux bijoux et les paient en espèces sonnantes et trébuchantes.

Comme les Helvètes ont pu vivre heureux jusqu’à ce jour sans disposer d’une police vestimentaire, je me suis laissé dire que les gardiens de la paix et autres gendarmes seraient envoyés en Arabie afin de s’entraîner à leur nouveau rôle de gardiens de l’habillement. J’ignore s’ils devront aussi s’exercer au maniement du fouet.

Où est la logique dans tout cela? Les Européens s’imaginent qu’ils sont les gens les plus raisonnables du monde depuis qu’un de leurs philosophes, du nom de Descartes, a écrit que «le bon sens est la chose du monde la mieux partagée». Sans doute, mais pas ici.

Il y aurait encore bien des choses dont je souhaiterais pouvoir m’entretenir avec toi, mais j’ai appris qu’un voyageur partait demain pour Ispahan, et la diligence file aux aurores. Je n’ai que le temps de cacheter ma lettre et de la lui porter.

Que le Dieu tout-puissant et miséricordieux veille sur toi et sur toute ta famille.

Ton fidèle et dévoué

Rhédi


Inceste: ne pas oublier les victimes masculines

Edith Herzog, Préverenges

L’article de Julie Rambal est très bien écrit et aborde vraiment bien tous les aspects sordides de ces incestes et, on pourrait dire, en général, de tout ce que représentent les abus sexuels.

Relire: Inceste, l’histoire d’un silence en fissuration

Très surprise d’apprendre que l’inceste «suisse» ne prend justement pas en compte l’aspect abusif de cet acte puisqu’il ne se limiterait qu’à un acte consenti entre deux membres d’une même famille… Décidément, la Suisse paraît très en retard dans sa compréhension et son approche légale de tous ces types d’agressions. Il semblerait qu’il n’y ait pas, non plus, de formation adaptée à leur gestion par les médecins et les juges et, en conséquence, le parcours et la reconnaissance des victimes sont tout sauf aisés. Plus encore, il reste toujours un a priori, le plus souvent, sur le genre des victimes comme, malheureusement, l’illustration de votre article réalisée par Mme Vazquez – tout à fait intéressante, par ailleurs, mais restrictive, représentant une jeune fille dont la petite fille intérieure a été saccagée –  pourrait le laisser supposer… Un peu regrettable car les garçons sont, aussi, fréquemment, victimes d’inceste non sans en souffrir autant que les filles. La domination des victimes féminines est, parfois, oppressante.
On espère, donc, que des politiques vont enfin s’efforcer d’améliorer le sort de toutes ces victimes, trop souvent laissées sur le bord de la route pour cause de tabous et d’a priori destructeurs ou de manque de temps et de volonté.


Relire vos courriers précédents:

Vous nous avez écrit sur… le niqab, les droits de l’homme, le revenu universel et la rémunération du patron de Novartis (3 février 2021)

*: Errata. Des courriers avaient été mal attribués, l'erreur a été rectifiée ce 1er mars et les  noms des bons auteurs rétablis, toutes nos excuses. 

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