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Europe: la Suisse au bord du gouffre?

Prof. Roland J. Campiche, Lausanne (VD)

A l’époque où j’étudiais au Gymnase de la Cité, on prêtait au directeur d’alors, fraîchement revenu d’une mission sur le 38e parallèle, cet introït à son discours annuel aux parents d’élèves: l’année dernière, nous étions au bord du gouffre, cette année nous avons fait un grand pas en avant! Illustration prémonitoire de l’incapacité des politiques suisses à se situer dans l’histoire et à se projeter dans l’avenir? On peut sérieusement le penser. La génération au pouvoir n’a pas vécu le dernier conflit mondial et est incapable de mesurer le pas décisif franchi par la création de l’Union européenne, qui a ouvert, comme l’a écrit François Bugnion avec pertinence dans ce journal, 70 ans de paix et de prospérité en Europe occidentale.

Effacer la mémoire, c’est sacrifier la sagesse qui peut guider la construction de l’avenir

En été 1946, je traversais la France, le Luxembourg et la Belgique pour me rendre en Hollande avec ma mère, native de ce pays, et mes deux sœurs. Impossible d’oublier les atteintes à la cathédrale de Strasbourg, les destructions du centre de Rotterdam et la haine sourde à l’égard de l’envahisseur qui restait palpable… Impossible également d’oublier les récits de mon père qui, durant la guerre, voyageait partout en Europe pour défendre les intérêts d’une grande entreprise: les bombardements meurtriers sur Berlin, les exactions dans les pays de l’Est, en particulier en Tchécoslovaquie…

Lire aussi: Le prix du froid institutionnel avec l’Union européenne

Effacer la mémoire, c’est sacrifier la sagesse qui peut guider la construction de l’avenir. Incriminer nos seuls conseillers fédéraux est dérisoire. Outre qu’ils ne sont pas les superstars qu’on fantasme, ils sont entourés d’une armée de collaborateurs et collaboratrices, engagé-es pour leurs compétences et leurs capacités de résoudre des problèmes, du moins on l’espère. De deux expériences récentes dans le domaine de la santé et de la formation, je retire l’impression d’une grande frilosité, d’une peur panique de ne pas respecter la loi ou l’ordonnance à la lettre, alors même que des changements sont souhaitables et que la législation n’est pas fossilisée. On a l’impression que la Suisse quadra et quinquagénaire s’est engluée dans la prospérité et le confort, alors que la jeune génération voit bien les menaces qui pointent et piaffe de pouvoir apprendre des solutions ailleurs, entre autres de ce magnifique moteur de fraternité et d’innovation que constitue par exemple Erasmus. Voulons-nous vraiment nous obstiner à être des Neinsager pétrifiés par le rêve d’une indépendance absolue, incapables de céder un pouce de terrain pour contribuer à cette paix et cette solidarité qui restent le projet fondateur de l’Europe?


La législation sur les pesticides la plus stricte d’Europe

Francis Egger, vice-directeur de l’USP, Union suisse des paysans

Extrêmes. Ce mot résume à lui seul les initiatives «Eau propre» et «Pour une Suisse sans pesticides de synthèse» sur lesquelles nous voterons le 13 juin. Les raisons du rejet catégorique par le monde agricole sont trop souvent éludées dans les médias, dont certains préfèrent faire écho aux allégations anxiogènes des initiants. Ces deux initiatives se focalisent en très grande partie sur la production agricole avec des exigences disproportionnées et inapplicables. Le fait de ne tolérer que des fourrages de l’exploitation démontre à quel point l’initiative «Eau propre» est disproportionnée. Certaines exploitations, les plus intensives, se détourneraient alors des paiements directs, ce qui ne profitera ni à une meilleure protection de notre environnement ni à notre eau potable déjà d’excellente qualité. De plus, il n’existe pas d’unité de matière entre ces deux initiatives et on pourrait se retrouver, en cas de vote favorable, confrontés à une mise en application sous une forme légale très aléatoire, ne donnant satisfaction à personne et qui nous rappellerait des concrétisations récentes d’initiatives.

Avec les efforts déjà accomplis et encore à entreprendre, l’agriculture est consciente des attentes sociétales

Avec les efforts déjà accomplis et encore à entreprendre, l’agriculture est consciente des attentes sociétales. Dans ce sens, le parlement a accepté le 21 mars dernier de concrétiser une initiative parlementaire en modifiant trois lois: la loi sur les produits chimiques, la loi sur l’agriculture et la loi sur la protection des eaux. Le Conseil fédéral va mettre en consultation les ordonnances d’application durant l’été et le tout entrera en vigueur début 2023. Ces adaptations ont l’avantage par rapport aux initiatives de ne pas se limiter qu’au secteur agricole, d’intégrer l’ensemble des produits phytosanitaires, pas seulement les produits phytosanitaires de synthèse, mais aussi les pesticides admis en bio. Contrairement aux deux initiatives qui se limitent à la mise en place de contraintes de production, cette nouvelle législation sur les pesticides fixe par ailleurs des objectifs à atteindre précis, au niveau des pertes des éléments fertilisants et des risques dans le cadre de l’utilisation de produits phytosanitaires. La concrétisation des nouvelles dispositions constituera un énorme défi, non seulement pour le secteur de la production agricole, mais aussi pour tout le secteur agroalimentaire. La Suisse aura par ces adaptations légales la législation sur les pesticides la plus stricte d’Europe.

L’agriculture prend donc ses responsabilités pour la préservation de nos ressources tout en garantissant un approvisionnement suffisant de la population, à l’heure où presque la moitié du contenu de nos assiettes dépend déjà des importations. Autant de raisons pour voter 2 fois non le 13 juin.

Notre reportage: Dans les bottes d’un paysan


La double hypocrisie des importations de beurre

Yves Pellaux, agriculteur bio, président d’honneur de Prométerre, Pomy (VD)

Depuis maintenant une année, la Confédération autorise régulièrement des importations de beurre et de lait demandées par l’Interprofession du lait (IP lait). A ce jour, plus de 5000 tonnes de beurre ont été importées et une nouvelle tranche de 1000 tonnes est demandée. A n’en pas douter, le Conseil fédéral va autoriser ces importations, soucieux qu’il est de plaire à la grande distribution, qui pourra ainsi faire son beurre.

La montagne de beurre a fondu, le prix reste trop bas et les exploitations disparaissent chaque jour

Les règles du libre marché du lait voulu par le CF à la fin des années 1990 voudraient que, lorsqu’il y a manque de lait sur le marché, le prix monte, favorisant une augmentation de la production. Les producteurs verraient enfin une amélioration de leur revenu. En fait, le mécanisme fonctionne uniquement à la baisse, comme cela fut le cas ces dernières décennies. Actuellement le marché est complètement asséché et, plutôt que d’augmenter le prix, on importe à bas prix du lait ne correspondant pas du tout au standard suisse. Le discours d’alors, justifiant la baisse du prix, était la surproduction et notamment la montagne de beurre. La montagne a fondu, le prix reste trop bas et les exploitations disparaissent chaque jour. Aujourd’hui il ne reste plus que 18 186 exploitations laitières en Suisse, soit une diminution de 55% en 20 ans. Le troupeau laitier s’est également fortement contracté pour passer sous la barre des 500 000 vaches. A ce rythme, la production laitière aura disparu à l’horizon 2050, première hypocrisie.

Les normes de détention des animaux, comme celles concernant les émissions d’ammoniaque, se sont considérablement durcies ces trente dernières années. Largeur des couches, surface de l’aire de promenade, surface de la pâture, tout est réglementé pour le confort des animaux. Si ces règles de bien-être animal ne sont pas contestables, elles augmentent considérablement les coûts de production. Même chose pour les volumes de stockage des effluents, la capacité de stockage doit être de 6 mois, soit toute la période non végétative. Là aussi, s’il est judicieux d’épandre les effluents au bon moment, ces gros volumes de stockage engendrent également des énormes coûts de construction. Enfin, pour limiter un maximum les émissions d’ammoniaque, les fosses à purin doivent être couvertes. Lorsqu’il autorise l’importation de beurre ou de lait, le CF contrôle-t-il que l’ensemble des règles imposées aux producteurs suisses soit également respecté? Les animaux sont-ils bien traités? Ont-ils suffisamment de place? Les salariés sont-ils correctement rémunérés? Aucune de ces règles n’est appliquée, le CF s’en moque éperdument, deuxième hypocrisie.


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