Trois collégiennes aux voix bubble gum enveloppées dans un rugissement de guitares. Minois délicieux et tenues baroques, les majorettes gothiques du groupe japonais Babymetal n’en finissent pas de devenir globales avec leur alliage de rock à gros calibre et de J-pop prototypale. De Londres (Wembley Arena) à New York (Times Square Theater) en passant par Vogue, RollingStone et quelques dizaines de millions de vues sur YouTube, les trois lolitas font office de nouveau phénomène «made in Japan». Leur second album, «Metal Resistance», est paru au mois d’avril.

Quelque part entre Hit-Girl (la flingueuse prépubère du blockbuster «Kick-Ass»), Gogo (la lycéenne sadomaso de «Kill Bill»), et Nausicaä (l’intrépide princesse de Hayao Miyazaki), Babymetal s’inscrit dans le fantasme de la jeune effrontée qui ne s’en laisse pas compter. Un fantasme soigneusement calibré: tout, chez «Moametal» Kikuchi, «Yuimetal» Mizuno et «Sumetal» Nakamoto (même pas 17 ans de moyenne d’âge) semble manufacturé aux normes industrielles des agences de J-pop. Tutus de vinyle et jeux de bras karatékas, les trois idoles n’avaient jamais entendu de metal avant la fondation du groupe, en 2010.

Curieusement, cette inauthenticité assumée n’empêche pas Babymetal d’avoir reçu l’approbation de pointures comme Metallica, Slayer ou Bring Me Horizon. Après tout, depuis «The Ring», «Battle Royale» ou «Audition», les jeunes filles couleur de nuit blanche et les chevelures noir cauchemar sont entrées dans le train fantôme de la pop.

Peut-être la fascination du public occidental vient-elle aussi de l’incroyable innocence avec laquelle les trois adolescentes se fondent dans leurs personnages créés de toutes pièces – phénomène commun à nombre de starlettes mais rendu visible ici par le décalage culturel. Je songe à Harajuku, quartier de Tokyo et berceau du cosplay où les fans du groupe (et les autres) pratiquent le déguisement, la mode et le façonnage identitaire d’un seul et même geste. Je songe, aussi, à Niconico Douga, sorte de YouTube nippon typique de la génération Babymetal. Y prolifère la culture du vocaloid, ces chansons composées de manière anonyme à l’aide de softwares de synthèse sonore dont on retrouve les saccades instrumentales dans l’esthétique du trio. Casque de Pikachu ou costume manga: sur Niconico, le camouflage physique et digital est commun au point que tout visage reconnaissable y est qualifié de «grossier!» («kimoi») par les utilisateurs. Comme un écho à Niconico, les musiciens de Babymetal jouent tous encagoulés. «Metal Resistance»? Hauts les masques.

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