Ce baiser de Nador que les islamistes abhorrent
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L’islamologue Mathieu Guidère montre le rôle qu’a joué, dans les Printemps arabes, la frustration sexuelle de la jeunesse arabe. Il met en évidence les réactions des islamistes face à l’aspiration très répandue à un assouplissement des mœurs
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Ce baiser de Nador que les islamistes abhorrent
Les Printemps arabes de 2011-2012 ont conduit à une libération politique mais aussi à une révolution sexuelle, que les islamistes ont tenté de contrôler en «labellisant» les pratiques sexuelles. C’est la thèse que défend dans son nouveau livre Sexe et Charia, l’islamologue Mathieu Guidère, qui a longtemps enseigné à l’Université de Genève.
Frustration à son paroxysme
L’auteur a recueilli sur le terrain des centaines de témoignages. Il a pris conscience de la place occupée par le sexe et le débat sur la sexualité dans le mouvement révolutionnaire de 2011. La frustration sexuelle est à son paroxysme dans les pays arabes ces années-là, liée en partie à la parabole et à Internet qui donnent à voir, ailleurs, des mœurs différentes et nettement plus débridées. Toucher, embrasser, enlacer dans un lieu public une personne qui n’est pas l’époux ou l’épouse peut coûter la prison dans les pays arabes. Dans l’euphorie qui a accompagné les manifestations, la jeunesse réunie dans les rues a brisé des tabous, en adoptant des comportements inédits et des pratiques de séduction nouvelles.
Mathieu Guidère revient sur le baiser de Nador, affaire emblématique d’octobre 2013, étreinte entre deux jeunes Marocains prise en photo et postée sur Facebook. Accusés d’atteinte à la pudeur, ils ont été arrêtés puis libérés après une forte mobilisation via les réseaux sociaux. Le baiser de Nador a révélé l’ampleur des changements sociaux, y compris dans les zones les plus reculées. Les islamistes, tant qu’ils ont été au pouvoir, ont alors jugulé à coups de milliers de fatwas cette nouvelle sexualité. Pour la canaliser, elle a été aussitôt labellisée en termes islamiques et des pratiques inédites ont été déclarées conformes à la charia par la magie d’avis théologiques assez étonnants.
Des fatwas sexuelles
Dans son ouvrage, l’universitaire publie des fatwas sexuelles qui confortent le lien sacré et intangible du mariage et un retour en force de la polygamie, confirment la répudiation de la femme si elle ne satisfait pas son époux et la condamnation de l’homosexualité. Mais sont relatées aussi les bonnes manières sexuelles, de façon directe et plutôt crue, ce qui est assez inhabituel dans le monde musulman. Exemples: pas de relations lors des menstrues, pardon accordé en cas de pénétration anale par inadvertance «sous le feu de l’action ou sans connaissance de l’endroit précis du coït», ne pas copuler dans la position de la prière et en direction de la Mecque, être doux avec la femme, remercier Dieu après l’acte et prier pour avoir un enfant (un garçon de préférence).
«Djihad du sexe»
Les groupes islamistes ont récupéré l’émancipation, soutient l’auteur, en allant jusqu’à développer un «djihad du sexe»: des jeunes filles viennent remonter le moral des moudjahidin, en Syrie notamment. Ce «djihad du sexe» est une création des islamistes, il n’existerait nulle part dans les lois de l’islam. Le constat est amer: la multiplication des types de mariages «islamiques» (coutumier, temporaire, touristique, de plaisir ou de contrepartie) revient à perpétuer l’asservissement des corps et des âmes. L’enlèvement de plus de 230 jeunes femmes au Nigeria par la secte Boko Haram est, à cet égard, le plus détestable exemple.
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