A Bellinzone, un procès historique qui mérite assurément mieux
Appelé à juger un ancien chef de guerre libérien pour des crimes commis sur des civils, le Tribunal pénal fédéral s’embourbe dans des problèmes logistiques sans fin qui vont priver l’audience de son intensité

En 1999, la Suisse avait déjà été le premier Etat européen à juger un homme, l’ancien bourgmestre de Mushubati, pour des massacres commis au Rwanda. Le procès s’était tenu à Lausanne devant le Tribunal militaire, alors seul compétent pour juger des crimes de guerre. Aujourd’hui, notre pays fait encore œuvre de pionnier avec le procès intenté contre l’ex-commandant d’une faction armée, accusé d’avoir commis les pires exactions lors du conflit qui a ravagé le Liberia. Ce rendez-vous judiciaire est historique à plus d’un titre. C’est la première fois que le Tribunal pénal fédéral est saisi de ces infractions gravissimes et c’est aussi la première fois qu’un ressortissant libérien est jugé pour avoir violé les lois de la guerre sur ses terres, il y a plus d’un quart de siècle, et fait souffrir tant de civils.
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Pour la Cour des affaires pénales, la tâche est immense et forcément difficile. Car un fossé sépare ces dossiers internationaux du crime de droit commun qui fait l’ordinaire des tribunaux. Ici, pas d’empreintes, pas d’alibis. Les preuves matérielles font souvent défaut et les juges doivent essentiellement s’appuyer sur les dépositions et sur l’histoire. L’expérience générale de la vie, si souvent invoquée pour asseoir une conviction, n’est d’aucune utilité pour distinguer le vrai du faux.
Il leur faudra dès lors se plonger dans la complexité d’un conflit interethnique lointain et très ancien, saisir des chaînes de commandement changeantes où chacun s’auto-attribue des grades militaires, affronter la fiabilité des preuves et la vraisemblance des témoignages de personnes marquées par une culture différente et par des chocs émotionnels évidents. Enfin, les magistrats devront supporter l’évocation d’horreurs encore jamais entendues dans cette salle de Bellinzone.
Un précédent réussi
Il y a plus de vingt ans, le Tribunal militaire, présidé par l’ancien procureur général vaudois Jean-Marc Schwenter, avait pris la mesure de l’exercice et même fait le voyage de Kigali pour s’imprégner du contexte. Tous ceux qui ont assisté aux débats de l’époque – dont la soussignée – se rappellent encore l’intensité de cette audience qui a vu défiler victimes, historiens de renommée mondiale, linguistes et autres experts appelés à éclairer les juges.
Aujourd’hui, on ne ressent pas la même énergie. Ni du côté de l’enquête, qui a traîné en longueur après le départ de la procureure ayant lancé cette procédure. Ni de la part du tribunal, qui s’embourbe dans des problèmes organisationnels sans fin, encore aggravés par la pandémie. La dernière surprise en date étant de reporter une partie des débats à une date inconnue et de commencer l’audience sans attendre et sans préparer la venue des plaignants depuis l’Afrique. Ce procès, quel qu’en soit le résultat final, mérite assurément mieux.
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