Bienvenue en «cheapflation»
Opinion
OPINION. Après la création des «marques distributeurs» ou de la «shrinkflation», voici le phénomène de la «cheapflation», affirme John Plassard, directeur, Mirabaud & Cie

Face à la progression de l’inflation et à la baisse du pouvoir d’achat des consommateurs, les fabricants de denrées alimentaires et les distributeurs tentent de s’adapter pour éviter une érosion de leurs marges.
La cheapflation (ou la baisse de la qualité des aliments) consiste à remplacer certains produits ou aliments par des substituts (alimentaires ou non) moins chers. Le but étant évidemment de maintenir des marges ou de vendre plus de produits. Les exemples pullulent sur internet et le site Reddit s’en fait notamment l’écho. L’exemple le plus évident de la cheapflation est celui de certaines crèmes glacées désormais appelées «desserts glacés», car les produits laitiers qui les composaient ont été remplacés par des produits de remplissage.
Un terme similaire, mais moins connu, est «chocolaté» ou «aromatisé au chocolat», qui signifie que le produit ne répond plus aux exigences de l’Agence fédérale des produits alimentaires (la FDA aux Etats-Unis) en matière de teneur en chocolat, qui a probablement été remplacé par de l’huile de palme et des arômes artificiels.
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Parmesan à la cellulose et jambon à l'amidon
Se pose alors la question de savoir par quoi est remplacée la matière première. Par exemple, les fromages à pâte dure comme le parmesan sont complétés, parfois fortement, par une fibre végétale dérivée du bois sans aucune valeur nutritive: la cellulose. Bien qu’il semble étrange qu’un produit de remplissage fabriqué à partir de bois soit autorisé dans les aliments, il n’est pas prouvé que cette substance soit nocive par des études scientifiques même s’il convient de noter qu’elle peut provoquer divers problèmes digestifs. Selon plusieurs études indépendantes, des tests sur des fromages râpés achetés en grande distribution aux Etats-Unis ont révélé qu’un grand nombre de marques utilisent près de 9% de cellulose.
Le jambon est un autre exemple de la cheapflation. A l’issue d’un test comparatif effectué par l’organisation de consommateurs belge Test Achats, certains jambons vendus dans des supermarchés français ou belges ne mériteraient pas cette appellation. Plusieurs des produits testés contenaient tellement d’additifs et de «remplissage» qu’ils ne répondaient même pas à la définition du jambon cuit. Selon le test, huit des 34 produits testés ne renseignaient pas sur le pourcentage de viande. Dix précisaient un pourcentage de viande inférieur à 95%. Trois produits bon marché de l’échantillon ne répondaient pas, ou à peine, à la définition légale du jambon. Deux ingrédients suffisent pour fabriquer du jambon cuit, rappelle Test Achats: le haut de la cuisse du porc et de la saumure. Mais l’association a constaté que les versions industrielles proposées par les supermarchés contiennent de nombreux d’autres éléments de remplissage comme de l’eau, de l’amidon ou de la gélatine, ou une série d’additifs visant à améliorer la couleur, la texture et la conservation de la viande.
Le côté sombre de la «cheapflation»
Le premier mot qui nous vient à l’esprit est bien évidemment la «malbouffe», les produits utilisés pour remplacer la matière première étant souvent peu digestes ou plus gras. Selon une étude publiée par RAND, un organisme de recherche à but non lucratif, la nourriture moins chère pourrait être une cause majeure de l’épidémie d’obésité aux Etats-Unis et dans le reste du monde. Ce n’est pas seulement que nous mangeons plus d’aliments riches en calories, mais nous mangeons plus de tous les types d’aliments. Dans les années 1930, les Américains consacraient un quart de leur revenu disponible à l’alimentation. Ce chiffre est tombé à un cinquième dans les années 1950 et représente actuellement moins d’un dixième du revenu disponible.
L’inflation pourrait raboter ce chiffre. Contrairement aux idées reçues, l’étude RAND révèle que l’augmentation du taux d’obésité aux Etats-Unis coïncidait avec une augmentation de la disponibilité des fruits et légumes ainsi qu’avec une augmentation du nombre de personnes faisant de l’exercice et disposant de plus de temps libre. Le fait que les Américains disposent de la nourriture la moins chère de l’histoire est donc probablement la raison de l’augmentation de l’obésité, selon les chercheurs. L’étude révèle également que l’obésité est une menace croissante pour les Américains, où qu’ils soient, indépendamment de leur lieu de résidence ou de leur groupe social d’appartenance. Selon les auteurs de l’étude, la réduction de l’apport calorique pourrait être un meilleur moyen de réduire les taux d’obésité que les tentatives visant à inciter les Américains à manger plus de fruits et de légumes et à faire plus d’exercice.
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La cheapflation est la dernière trouvaille des distributeurs pour maintenir leurs marges et permettre à leurs clients de «presque» pouvoir toujours manger leurs produits préférés malgré la hausse de l’inflation qui grève leur pouvoir d’achat. La tendance à monter en gamme dans les achats des consommateurs pourrait donc s’inverser face à la progression des prix.
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