Tempus fugit. En plus de donner un petit air intello aux horloges, la maxime de Virgile a le mérite de dénoncer la procrastination, voire la paresse, qui nous fait perdre un temps précieux. Elle s’applique hélas dans le cas de la gestion de la planète, où les espèces vivantes disparaissent les unes après les autres sans attendre une hypothétique action politique forte en faveur de la biodiversité.

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Dernier exemple en date, une étude parue en début de semaine dans la revue scientifique PNAS a dressé un constat terrifiant de l’état de la biodiversité mondiale. Elle conclut que près d’un tiers des 27 000 espèces de vertébrés examinées sont sur le déclin, d’un point de vue territorial et démographique. Les auteurs n’hésitent pas à parler d’«annihilation biologique», insistant sur le fait que cette sixième extinction de masse s’accélère et s’intensifie. Publiée dans la torpeur de l’été, l’étude n’a pas eu l’écho qu’elle mérite. Aurait-elle fait peser un dixième de ces menaces sur l’économie qu’elle serait aujourd’hui au centre de toutes les discussions. La nature n’a pas droit à tous ces égards. Réinventer notre modèle agricole, revoir notre rapport à la consommation, protéger le climat… les remèdes à ce mal sont pourtant connus, mais leur application est sans cesse repoussée aux calendes grecques. Les horloges politique et biologique sont complètement désynchronisées.

Fleuron de l’horlogerie, la Suisse doit elle aussi régler sa montre. Beaucoup de gens, ici comme à l’étranger, voient le pays comme un havre de nature et de biodiversité. Pratique pour décorer les cartes postales, l’image n’en est pas moins absolument erronée. Le nombre d’espèces menacées ne fait qu’augmenter dans nos contrées, tandis que les habitats régressent. 80% des animaux vivant en zones humides, reptiles et amphibiens en tête, sont pratiquement rayés de la carte. Nos plantes ne sont guère mieux loties: près d’un tiers sont menacées, tandis qu’une centaine d’espèces végétales sont au bord de l’extinction. 55 ont même déjà disparu, comme le rappellent en ce moment les scientifiques à l’occasion du mois des jardins botaniques, Botanica 2017. Ici aussi, la vie sauvage est en péril, sans que cela agite les autorités. Adoptée en 2012 par le Conseil fédéral, la Stratégie biodiversité Suisse avait fixé dix grands objectifs stratégiques. Qui ont débouché trois ans plus tard sur l’élaboration de 71 (!) mesures… dont les plus abouties, portant sur l’extension et l’entretien de l’infrastructure écologique, ne seront mises en place qu’en 2020, au plus tôt. Quelques zones protégées ont certes été créées sans attendre. Elles représentent en tout 6% du territoire. Ces confettis ne permettront pas à la Suisse d’atteindre l’objectif de 17% d’ici à 2020 fixé par les Nations unies. Aujourd’hui plus que jamais, si l’on veut protéger la vie, il faut remettre les pendules à l’heure.

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