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Dans la mine à bitcoin

Si la technologie est un exotisme, le bitcoin est une terra incognita. Pour l’instant, rares sont ceux qui se procurent cette crypto-monnaie disponible sur Internet, et les plateformes d’échange restent peu nombreuses. Mais le buzz s’intensifie. Bien plus vite qu’il ne se constitue en pratique, le bitcoin se déploie en discours. A l’heure d’une forte médiatisation, sa mythologie précède son usage. Il est question d’un minerai numérique dont l’appréciation attire ou effraie, d’une conquête dépourvue de mainmise (banque centrale, oligopole) qui puisse contrôler le marché et influer sur la valeur de la devise. Chacun peut, soi-disant, se saisir de sa pioche informatique, fracasser du code, dénicher une pépite. Un bitcoin vaut dans les 1000 dollars.

Pour le consommateur, investir demeure risqué (lire LT du 24.01.2014). Mais pour le producteur? Qu’y a-t-il au fond de la mine? Comment cette monnaie valide-t-elle son existence? Tout autour du monde, des ordinateurs surpuissants engouffrent des fortunes d’électricité (500 dollars par mois) dans ce que l’on appelle «bitcoin-mining». Chaque machine coûte dans les 10 000 dollars, et vit en moyenne 250 jours. Pour quel rendement?

A la base de l’extraction du bitcoin, deux principes, posés par ses mystérieux créateurs. Premier principe: le bitcoin ne dépend d’aucune autorité centrale. Fruit de l’idéologie du partage propre au Web, il est sécurisé en réseau, par tous et pour tous. Une base de données de toutes les transactions est constamment mise à jour et recopiée par toutes les machines. Difficile de tricher ou de contourner les lois du marché quand la vérification s’opère sur un tel parc. Cette vérification nécessite de la puissance; en mettant celle de leurs systèmes à disposition, les mineurs sont rétribués en bitcoin.

Deuxième principe: la production de bitcoin ne peut pas dépasser une certaine vitesse, et le nombre total d’unités est limité à 21 millions – il y en a actuellement 12 en circulation. En prémunissant la monnaie contre une explosion des liquidités, l’inflation est corsetée. Comment mettre en œuvre cette régulation? En implémentant dans l’algorithme un concours de vitesse. Un puzzle, qu’il s’agit pour les mineurs de résoudre le plus vite possible. Toutes les 10 minutes, le plus rapide empoche les 25 bitcoins en jeu. De plus, à mesure, les puzzles deviennent de plus en plus difficiles, et la puissance requise accroît. Un laptop ne suffit plus; il faut des stations plus imposantes, ce qui permet au réseau de se développer à mesure que les transactions se multiplient.

Aux Etats-Unis, un parc de start-up (HashFast, CoinTerra) s’est spécialisé dans la production de ces super-calculateurs. Mais leur conception prend du temps (plusieurs mois), et la complexité exponentielle des puzzles fait déjà planer le risque de l’obsolescence. Certains mineurs gagnent beaucoup, mais rentabiliseront-ils leur matériel? De marteau-piqueur en forage à la dynamite, cette course à l’armement décourage les petits acteurs et pourrait faire vaciller l’un des arguments fondateurs du bitcoin. D’ici à quelques années, seuls de puissants groupes capables de creuser d’énormes mines informatiques rafleront peut-être la mise. Avec eux s’envolerait la rhétorique utopiste d’une cryptomonnaie décentralisée, dénuée d’oligopole et de jeux d’influence. Lié à la vitesse des semi-conducteurs, le bitcoin deviendrait alors une devise numérique rattrapée par ses propres limitations physiques.

Chacun peut, soi-disant, se saisir de sa pioche informatique, dénicher une pépite

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