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Les bons offices, feuille de vigne de la politique de neutralité

OPINION. Facilitation logistique et représentation d’intérêts diplomatiques caractérisent les bons offices. Mais ce mandat peut paralyser la politique étrangère de la Suisse, inquiète de perdre des accès privilégiés, note notre chroniqueur François Nordmann

Ignazio Cassis au parlement, le 9 mars 2023 — © Alessandro della Valle/Keystone
Ignazio Cassis au parlement, le 9 mars 2023 — © Alessandro della Valle/Keystone

L’un des mythes les plus savamment entretenus de la politique étrangère suisse, l’offre de bons offices, a été souvent évoqué au cours des débats parlementaires de la semaine dernière à Berne. Le Conseil des Etats a débattu longuement de la politique de neutralité. Les orateurs qui s’opposaient à tout assouplissement de la politique de neutralité afin de permettre à l’Allemagne, au Danemark et à l’Espagne de réexporter des armes et des munitions achetées en Suisse, ont usé et abusé de l’argument. La vocation de la Suisse n’est pas de procurer à l’un des belligérants les moyens de se défendre: notre force réside dans l’aide humanitaire, l’aide à la reconstruction, l’accueil des réfugiés et, bien sûr, la mise à disposition de nos bons offices. Tôt ou tard – et le plus vite sera le mieux – les parties auront besoin d’un tiers pour négocier une issue à la guerre, et la Suisse, seul véritable Etat neutre en Europe, n’est-elle pas prédestinée à cette tâche? On ne va tout de même pas laisser cette fonction à la Turquie, s’écrie tel député au Conseil des Etats…

Quelle est la valeur réelle des bons offices, vaste notion s’il en est? L’accueil de conférences diplomatiques, de rencontres au sommet, de négociations internationales en est la forme la plus courante. Ils concernent au premier chef les activités du Palais des Nations. Il ne faut tout de même pas oublier que l’ONU est chez elle à Genève: la Suisse lui a octroyé le droit d’organiser ce type d’évènements en vertu de l’accord de siège de 1947. L’apport de la Suisse est avant tout logistique – assurer la sécurité et l’intendance de cette entité extraterritoriale qui fait ce qu’elle veut chez elle. Il est rarement de nature politique.

Une autre chronique: Les bons offices, une particularité suisse?

L’autre spécialité de la Suisse dans ce domaine est la représentation des intérêts diplomatiques d’un pays dans un autre en cas de rupture de leurs relations. Elle a acquis de l’expérience dans cette activité pendant la Seconde Guerre mondiale. Il s’agit principalement de gérer des biens immobiliers – souvent l’ambassade du pays représenté –, verser des pensions, accomplir des tâches administratives pour le compte de l’Etat représenté. Rares sont les cas où le mandat comporte un élément politique, qui peut aller du simple échange de messages à la négociation au nom de l’Etat représenté, par exemple pour ce qui est de l’échange de prisonniers. C’est le propre du mandat confié par les Etats-Unis à la Suisse en Iran depuis 1980.

On a parfois l’impression que ce mandat est une fin en soi: il permet à la Suisse d’entretenir des contacts à haut niveau au Département d’Etat et à la Maison-Blanche ainsi qu’à Téhéran, alors que la défense des seuls intérêts suisses ne donnerait pas le même accès à nos diplomates auprès des dirigeants de ces pays. Mais quelle influence la Suisse exerce-t-elle réellement sur le rapprochement entre ces deux pays ou sur la politique des droits de l’homme en Iran? Le mandat paralyse la politique étrangère de la Suisse, qui doit mesurer ses interventions de crainte qu’il ne lui soit retiré: c’est ce qui s’est passé il y a quinze ans, quand les Etats-Unis ont manifesté leur mécontentement face aux initiatives prises par la Suisse dans le secteur du nucléaire iranien. Aujourd’hui encore, nous n’osons pas nous exprimer publiquement sur les exactions commises par le régime des mollahs. Si encore la Suisse avait l’exclusivité des contacts entre l’Iran et les Etats-Unis! Loin de là! C’est Oman qui a permis de dégager la piste des pourparlers en vue de l’accord nucléaire de 1995, avant qu’il ne soit négocié en Suisse, puis signé à Vienne. C’est le Qatar qui gère aujourd’hui de délicats échanges relatifs à la libération d’otages irano-américains, selon le Financial Times.

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Dans le débat sur la neutralité, qui va se poursuivre sans doute jusqu’au vote sur l’initiative populaire de Pro Suisse, il faudra bien traiter de la place réelle et de la valeur des bons offices que la Suisse est censée prodiguer urbi et orbi. Il conviendra de démystifier ce qui paraît le plus souvent servir d’alibi ou de prétexte à la passivité associée à la politique de neutralité des autorités.

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