Opinion
Le FBI a finalement trouvé le moyen d’accéder seul, sans décision de justice, aux données de l’iPhone d’un suspect de terrorisme. De tels moyens d’investigation policière violent nos droits fondamentaux, estime François Charlet, avocat-stagiaire en Valais, fin connaisseur du droit de la protection des données

L’affaire s’est «terminée» abruptement. Apple se battait contre le FBI qui voulait la contraindre à écrire et déployer un programme qui contournerait la sécurité de tous les iPhones. De prime abord, le justiciable n’y aurait pas vu d’inconvénient: après tout, les autorités doivent pouvoir accéder aux données d’un appareil dans le cadre d’une procédure pénale. Mais pas à n’importe quelle condition.
Seul l’utilisateur peut accéder aux données cryptées
La plupart des communications entre appareils sont chiffrées, souvent de bout en bout. Cette technique empêche en principe quiconque de lire les données transférées et/ou stockées (même temporairement) sur un serveur informatique puisqu’elles sont chiffrées sur l’appareil avant d’être transmises via le réseau. Si le détenteur du service de communication ou l’éditeur de l’application utilisée ne possèdent pas la clé de déchiffrement, les données sont illisibles.
Ainsi, les iPhones, iPads et les derniers smartphones sous Android chiffrent par défaut l’intégralité du contenu qu’ils contiennent mais pas forcément toutes les communications. Seul l’utilisateur, grâce à son mot de passe ou à son empreinte digitale, peut alors accéder aux données.
L’opinion publique n’a pas suivi le FBI
De très nombreuses voix se sont élevées contre le FBI, en particulier parmi les experts en cybersécurité. Le gouvernement américain a divulgué cette affaire dans l’espoir de surfer sur une opinion publique favorable, mais cela n’a pas été le cas. Certains sénateurs en revanche soutiennent la démarche.
Ce que le FBI demandait hier à Apple, et ce qu’il demandera sûrement demain à toute la Silicon Valley, a un coût extrêmement élevé en matière de sécurité. Il y a actuellement de très nombreuses personnes qui tentent quotidiennement de mettre à mal la sécurité de nos différents appareils électroniques. Si le FBI venait à gagner ce genre de bataille, de nombreuses sociétés seraient contraintes de créer une faille dans leurs systèmes. Mais cette faille ne serait pas uniquement accessible au FBI: tout un chacun, et en particulier des hackers, pourraient l’exploiter, à condition de la trouver, ce qui arriverait tôt ou tard.
Droit à la protection de la sphère privée compromis
Plus dérangeant encore, une victoire judiciaire du FBI créerait un dangereux précédent aux États-Unis qui permettrait ensuite au gouvernement américain d’exiger de toute société ayant son siège aux États-Unis qu’elle transforme ses logiciels en outils de surveillance, ce qui compromettrait gravement le droit à la protection de la sphère privée ainsi que la sécurité.
Jour après jour, de plus en plus d’objets viennent se connecter au réseau: télévision, montre, lunette, pèse-personne, voiture, thermostat, caméra de surveillance, lampe etc. Nous rechignerions à nous servir de ces objets si nous savions que leur sécurité était affaiblie de sorte que l’Etat pourrait accéder à leur système pour les tourner contre nous, et que des tiers mal intentionnés pourraient en faire de même à chaque instant.
Arrêter la lente décomposition des droits fondamentaux
Le chiffrement de nos données est ce qui garantit notre sécurité, celle de nos données, de notre vie (numérique) et celle du monde connecté. La tactique du gouvernement américain, qui serait à coup sûr reprise ailleurs, y compris en Suisse, est très dangereuse puisqu’elle a pour effet de mettre en danger la majorité d’entre nous – qui avons droit à une sécurité optimale et nécessaire – pour inculper une très faible minorité. Il est finalement ironique que ce soit une multinationale privée qui nous protège plutôt que les autorités élues.
Tout le monde souhaite que les enquêtes aboutissent, que les coupables soient condamnés. Mais le sacrifice demandé à cette fin par le FBI n’en vaut pas la peine. Il en va de nos droits fondamentaux, dont la lente décomposition doit être arrêtée.
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