Ausculter les conséquences, pour la Suisse, du vote qui approuverait le retrait du Royaume-Uni de l’UE est le parfum irrésistible de l’année, tant il bouscule l’intellect des plus érudits. Les thèses se croisent, s’entrechoquent et les réponses sombrent dans l’incohérence. Comme thérapie de groupe, l’exercice est peut-être salutaire, mais fondamentalement inutile.

A ce stade, ce qui importe n’est pas de sonder les doutes méthodiques de ceux qui pensent, mais bien plutôt d’affiner, davantage encore, les solutions sur lesquelles la Suisse et l’UE peuvent et doivent s’entendre, Brexit ou pas Brexit. Et ensuite s’y préparer concrètement, car le temps presse. Quelles sont d’abord les trois contraintes principales qui demeurent – ensuite, des solutions peuvent-elles être proposées?

Première contrainte

Première contrainte, toujours soigneusement chloroformée, qui balise l’ensemble de l’édifice: l’accord-cadre institutionnel. La Suisse, en 2013, a accepté de rénover la voie bilatérale; avec entre autres composantes, la création d’un système de résolution des différends, à savoir des requêtes à la Cour de Justice, afin de dire le droit si les parties n’arrivent pas à régler une controverse. L’importance d’un tel système est illustrée par l’incapacité de la Suisse et de l’UE à trouver un terrain d’entente, après le vote du 9 février 2014. Cela, même si un processus décisionnel se trouve déjà dans l’article 14.2 de l’accord la libre-circulation des personnes. Comment dès lors imaginer que l’UE accepte une interprétation commune de l’article 14.2, une forme de mini-clause de sauvegarde, si aucun système de résolution des différends n’existe, alors même que la Suisse, dans le futur, pourrait ne pas accepter le recours à une telle clause, dans un cas d’espèce? Un accord amiable entre la Suisse et l’UE à propos de l’article 14.2 va de pair avec la mise en place d’une procédure de règlement des différends qui, elle, trouve sa place dans le futur accord-cadre.

Deuxième contrainte

Deuxième contrainte, plus nette encore: il ne pourra y avoir de transcription fidèle des dispositions de l’article 121a. Ni contingent, ni système de préférence nationale ne seront admis par l’UE. Cette réalité doit être acceptée une fois pour toutes.

Troisième contrainte

Troisième contrainte, la survie de l’accord recherche liée au programme Horizon 2020 et la ratification par la Suisse, sans condition, du Protocole III relatif à la libre-circulation des personnes pour la Croatie. Le 9 février 2017 est un couperet sans appel pour l’UE et aucune extension temporaire n’est envisageable.

Les solutions envisageables

En face de ce cadenassage juridico-politique, quelles sont les solutions? Dans ce contexte, on ne dira jamais assez combien utopique il est d’espérer sortir par le haut, grâce à la magie politique d’un appel d’air créé par quelques Etats membres, qui auraient décidé qu’il est de l’intérêt général de l’UE de se défaire de la pétaudière Suisse-UE.

Il faut conclure un accord-cadre

Quant à la première contrainte, qui depuis longtemps sous-tend les discussions Suisse-UE, la Suisse doit s’atteler à conclure un accord-cadre – d’ailleurs déjà négocié en partie. Un accord délicat au vu de certains éléments liés à la souveraineté du pays, mais exagérément grossis et mal compris. Au-delà d’une interprétation commune de l’article 14.2 et qui pourrait constituer une première réponse à l’application de l’article 121a, la Suisse a un intérêt primordial à entrer dans un rapport institutionnel nouveau avec l’UE, constructif, durable et porteur d’avenir. L’accord institutionnel négocié n’est pas un épouvantail et n’a rien d’hégémonique. Sans nouvelle base, les relations Suisse-UE sont condamnées au déclin et en tout cas à une irrémédiable stagnation. La détestation collective de l’UE est compréhensible, mais rejeter l’accord institutionnel et vouloir simultanément aménager, d’un commun accord avec l’UE un pan de la libre-circulation est une démarche pour le moins incongrue et auto-mutilante. Un accord institutionnel bien structuré — garant d’une vraie sécurité juridique — pourrait convaincre l’UE d’envisager une interprétation de l’article 14.2 avec plus de souplesse.

A quoi il faut renoncer

Pour ce qui a trait à la seconde contrainte, faute de mieux, et en dépit d’avoir tout tenté, on se doit de renoncer à l’idée d’une clause qui reprendrait tel quel la substance de l’article 121a. L’accord UE-UK sur les dérogations aux principes de la libre-circulation est à mille lieues de ce que la Suisse recherche. Une relecture des conditions adoptées par le Conseil de l’UE en février, sur ce qu’est la libre circulation des personnes et de ses possibles dérogations, est édifiante.

Faire savoir que nous ratifierons le protocole au sujet de la Croatie

Enfin, dernière contrainte, il serait sage de faire savoir que la Suisse ratifiera le Protocole III Croatie, sans condition et sans réserve ambiguë. Une ratification qui sera un apport indispensable pour les milieux scientifiques et économiques de la Suisse et, au-delà, de l’UE. A ce propos, penser que certains Etats membres pourraient galamment demander à la Croatie, au nom de la relation Suisse-UE, d’assouplir ses positions, n’est pas approprié tant les conséquences pourraient être dommageables pour les négociations à venir. Jouer avec la solidarité communautaire, précisément à un moment où l’UE ne se porte pas bien, est malsain.

Certes, plusieurs obstacles significatifs ne permettent pas encore à la Suisse de conclure comme elle le voudrait la négociation qui débutera après le référendum du 23 juin sur le Brexit. Une issue positive en automne est néanmoins envisageable. Bien davantage, avec un peu de souplesse et sans audace excessive, l’exercice est réalisable; il représenterait un succès majeur pour le maintien de la relation économique internationale de loin la plus importante qu’a la Suisse.


Jean Russotto, avocat, Bruxelles

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