Au cours de la campagne sur le référendum européen, les pro et anti Brexit ont prédit des conséquences économiques, politiques ou migratoires d’une sortie de l’Europe radicalement contradictoires. La comparaison avec le modèle suisse s’est occasionnellement insinuée dans les débats, brandie autant par le camp du «Leave» que par le camp du «Remain».

Tandis que l’espoir de négocier un «Swiss deal» constituait une solution possible pour les premiers, les seconds soulignaient au contraire les difficultés auxquelles a été confrontée la Suisse depuis la votation du 9 février 2014. Les académiques britanniques ont aussi régulièrement cité l’exemple helvétique pour mettre en garde contre le désastre que représenterait une sortie de l’Europe pour la science et les universités britanniques.

Les conséquences en Suisse du 9 février

C’est que, en effet, les milieux scientifiques suisses n’en sont plus au stade des projections quant aux conséquences d’une rupture avec l’Europe. Deux ans après le vote du 9 février, les chiffres sont révélateurs: lors du programme-cadre de recherche de l’Union européenne pour les années 2007 à 2013, la Suisse coordonnait 3,9% des projets (972 au total), arrivant ainsi en 7e position derrière les grands Etats européens, avec le Royaume-Uni, l’Allemagne et la France en tête. Dans le cadre d’Horizon 2020, la Suisse, reléguée à la 24e place, ne coordonne plus que 0,3% des projets (15 au total). Non pas que la recherche suisse soit devenue moins bonne mais simplement parce que nos chercheurs n’ont pas pu être retenus comme coordinateurs de projets européens compte tenu de l’incertitude pesant sur les relations entre la Suisse et l’UE. De façon plus globale, la participation de notre pays au programme de recherche européen a chuté de 3,2% à 1,8%.

La menace de voir voler en éclats notre modèle

L’un des arguments au cœur de la campagne du «Leave» au Royaume-Uni fut d’ordre financier: On donne davantage qu’on ne reçoit. La différence peut facilement être compensée par l’argent qu’on économisera en sortant de l’Europe. Si le rapport entre les ressources reçues de l’Europe et les montants versés par la Suisse pour les programmes de recherche européens est de l’ordre de 1,5 à 1 en faveur de notre pays, du point de vue du milieu scientifique la question des relations avec l’Europe se situe à un niveau plus fondamental (sans pour autant nier ici l’importance des financements européens).

La richesse de la Suisse repose sur sa matière grise et sur son ouverture qui positionnent la recherche helvétique parmi les meilleures au monde. Ce sont en effet les collaborations entre les meilleurs chercheurs du monde qui font l’excellence de la recherche. C’est de la compétition entre les universités que naissent les progrès scientifiques. Seules cette interaction et cette concurrence sont garantes d’une recherche fondamentale de qualité, maillon essentiel à la chaîne de l’innovation qui est le véritable moteur de l’économie suisse.

Quatre universités suisses sont dans le top 100 mondial, dont l’Université de Genève, et 66% des étudiants suisses obtiennent un diplôme de l’un de ces établissements. Notre pays attire l’élite des chercheurs, il compte le plus haut taux par habitants au monde de «star scientists», la Suisse est le pays le plus attractif auprès des boursiers ERC (European Research Council) étrangers et il occupe régulièrement les premières places au Global Innovation Index. Or, si l’on contingente la science, les «cerveaux» les plus brillants ne viendront plus en Suisse. Une fermeture de la Suisse risque ainsi de faire voler en éclats le modèle qui garantit l’excellence de notre recherche. Gardons en mémoire les choix politiques du passé qui ont contribué à soutenir les investissements nécessaires pour construire un système éducatif tertiaire efficient et de haute qualité. Ne dilapidons pas ce que nous avons construit. Continuons à former les élites de demain.

Les conséquences pratiques du Brexit pour les Suisses

Les Britanniques ont choisi de quitter l’Union européenne. Une première. Bruxelles se consacrera inévitablement ces prochains mois à la gestion de la sortie du Royaume-Uni et la Suisse deviendra le moindre de ses soucis. Or, pour les milieux académiques, les délais sont serrés, l’association partielle aux programmes de recherche arrivant à échéance à la fin de l’année 2016. Si un accord n’est pas trouvé avec l’UE d’ici à février 2017, ce n’est pas seulement le programme de recherche Horizon 2020 qui est en jeu mais une vingtaine d’accords bilatéraux. Les chiffres illustrent les préjudices subis par la science suisse en l’espace de deux ans de régime d’association partielle avec l’UE. Les dégâts ne sont pas irréversibles, la situation peut encore être corrigée, mais il faut agir, et vite.


Yves Flückiger, recteur de l’Université de Genève

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