Michael Rosenberg fait la fine bouche devant le QM2. Il semble surtout beaucoup s'amuser à voir la compagnie se contorsionner pour le séduire. Figurez-vous qu'elle est allée jusqu'à changer au dernier moment le plan du bateau. Dans le dessin initial, en effet, les suites royales en duplex avec ascenseur privatif, les seules dignes du millionnaire flottant (40 000 francs la semaine, serviettes comprises), étaient toutes prévues à l'arrière. Or, Michael Rosenberg aime, depuis son lit, se laisser décoiffer par un vent de face. Cunard a donc rajouté quatre suites côté proue. Et qu'a dit notre client face à une si touchante attention? Il a trouvé une autre raison de snober le QM2: l'interdiction de fumer dans la totalité de ses restaurants, y compris le plus chic. Fumer est «l'un de mes plus grands plaisirs», a déclaré Michael. Cunard, cette fois, ne peut pas céder: 60% de passagers attendus sont américains. Entre le millionnaire et la compagnie, c'est l'impasse. Le choc des civilisations se niche parfois dans des coins incongrus.
Je peux comprendre que quand on est fumeur et qu'on a payé 6000 francs par jour pour avoir le derrière assis sur une certaine chaise, l'idée que l'on ne puisse même pas en griller une à la fin du dîner soit difficilement supportable. Mais il me paraît tout aussi clair que, du plaisir ou de l'orgueil de Michael Rosenberg, c'est le second qui est véritablement en cause. Et qu'à ce stade, le miel de l'amour-propre pourrait commencer à devenir gluant: de tous les Terriens, il est probablement le moins libre 1) de monter dans le QM2, juste pour voir; 2) d'arrêter de fumer en 2004.