Ces phénomènes d'aimantation ne s'observent pas que dans les pays troublés. Il existe, par exemple, au centre de Rome, une confortable maison de la presse étrangère. Le matin, on y lit les journaux, à midi on y mange bien et pas cher, et à l'heure du café, les ministres se déplacent en personne pour donner leurs conférences de presse au salon. Traité comme un coq en pâte, le correspondant doit, chaque jour qui passe, se faire davantage violence pour sortir voir la vraie vie. Cette maison de la «Stampa estera» a été conçue par Mussolini. Franchement, avant de la découvrir, je ne le croyais pas si habile.
Si elle n'est pas provoquée par un milieu hostile, la tendance à l'agrégation en milieu protégé est donc induite par la vie en terre étrangère, pourrait-on penser. Les expatriés la connaissent bien, c'est elle qui attire diplomates et humanitaires au bord des mêmes piscines.
Mais à y bien réfléchir, je réalise que la tentation de la vie en chambre dépasse toutes ces conditions particulières: elle est ontologique. Aussi puissante que la force opposée qui lui fait concurrence, celle de la curiosité. L'instinct d'inertie, lui, protège de la nouveauté et de ses complications. Il nous souffle que moins on en sait, plus la vie est simple. Que la réalité a toujours quelque chose de biscornu, que c'est plein de grumeaux dont on ne sait pas quoi faire. Qu'une bonne conviction bien lisse souffre d'être exposée à l'imprévu d'une information supplémentaire. Et que «je ne sais pas» est une réponse dont on peut se contenter.
Je croyais qu'il suffisait d'être journaliste pour échapper au manque de curiosité, et je suis étonnée de devoir lutter contre lui tous les jours. Mais comme mon métier est de poser des questions, je vois aussi ceci: rester mentalement sous la couette est l'une des ambitions au monde les mieux partagées.