ÉDITORIAL. L’initiative «Entreprises responsables» a été acceptée par la majorité de la population (50,7%). Mais cela n’a pas suffi car seuls huit cantons et un demi-canton l’ont soutenue. Un soutien populaire qui doit être pris au sérieux

Les drapeaux orange vont rejoindre les placards après avoir flotté durant des mois sur les balcons ou dans les jardins, à travers tout le pays ou presque. Cet élan n’a pas touché les cantons alémaniques non urbains et le Valais, qui ont fait la différence en rejetant cette initiative. Le goût de la défaite est particulièrement amer pour les initiants car la majorité des Suisses a accepté ce texte. Les résultats montrent un pays divisé. Ouverture versus conservatisme. Les clivages sont multiples – âge, sexe, ville-campagne – et ils ne cessent de grandir depuis les élections fédérales de 2019.
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Pas de triomphalisme donc au terme d’une campagne extraordinaire qui serait la plus chère de l’histoire avec 18 millions de francs dépensés. Les débats ont été extrêmement tendus avec des attaques de part et d’autre, l’immixtion d’un ministre burkinabé convié par la vert’libérale Isabelle Chevalley, un tout-ménage «trompe-l’œil» des initiants et des annonces pleine page de multinationales ou de banques. La campagne a aussi marqué l’arrivée d’un nouvel acteur capable de lancer des initiatives: les ONG.
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Ces innovations et ces dérapages ne doivent pas faire oublier l’essentiel: la Suisse a débattu comme jamais de sa responsabilité en matière de droits humains et de protection de l’environnement. Ces discussions ont débouché sur de nombreuses promesses, notamment des principales intéressées, les multinationales dont le siège est en Suisse. Elles n’ont cessé de vanter leurs bonnes pratiques et leur volonté de transparence. De la parole aux actes maintenant. Un outil existe pour le prouver: le contre-projet indirect. Les initiants dénoncent une coquille vide. A la conseillère fédérale Karin Keller-Sutter, qui s’est fortement engagée contre ce texte, d’inciter les entreprises concernées à ne pas se contenter d’un rapport annuel prétexte. Elles doivent respecter les droits humains et les normes environnementales… comme le peuple le leur a demandé.
Prendre au sérieux la majorité populaire ne signifie pas remettre en question la Constitution fédérale et la double majorité du peuple et des cantons, l’un des fondements de notre démocratie. Rappelons que ce cas de figure est extrêmement rare. Auparavant, il ne s’était produit qu’une fois, en 1955.
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Le débat va heureusement se poursuivre, étant donné que l’Union européenne devrait adopter l’an prochain de nouvelles directives reprenant en grande partie le texte pour des initiatives responsables. Et le 7 mars déjà, les Suisses se prononceront à nouveau sur un objet socio-économique, l’accord de libre-échange avec l’Indonésie, qui se focalisera autour de l’huile de palme.
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Il y a 1 mois
INITIATIVE POUR DES ENTREPRISES RESPONSABLES : LA DOUBLE MAJORITÉ ET LE FÉDÉRALISME POSENT UN PROBLÈME DÉMOCRATIQUE ET ÉTHIQUE SÉRIEUX !
Ainsi, pour la première fois depuis 1955 (initiative populaire pour la protection des locataires et des consommateurs acceptée par 50,2% des votants mais rejetée par 15 cantons contre 7 ( JU n’existait pas) ) et pour la deuxième fois dans l’histoire, une initiative est acceptée par une majorité populaire( 50, 7 %) mais rejetée par 14 cantons contre 9.
Une majorité de nos concitoyens veut ainsi privilégier les valeurs éthiques et morales à celles de l’économie, dans un contexte fortement marqué par les préoccupations relatives à la protection de l’environnement et des droits humains. Mais une minorité rurale et conservatrice y met son veto.
Cela est d’autant plus grave que cette même minorité rurale et conservatrice avait déjà profité de l’avantage que lui donne le mode d’élection du Conseil des États ( 2 députés par canton, indépendamment de la population de telle sorte que Glaris, Schwyz et Zoug y ont le même poids que ZH, BE et VD réunis ! ) pour empêcher l’avènement d’une solution qui satisfaisait aussi bien le Conseil fédéral que les initiants et le Conseil national. En effet ce dernier avait adopté un contre-projet au bénéfice duquel les initiants étaient prêts à retirer leur initiative. Le Conseil des États a cependant vidé ce texte de toute substance efficace et empêché l’adoption du contre-projet, de telle sorte que l’initiative devait être maintenue. En utilisant deux fois de suite le même frein fédéraliste conservateur, les milieux économiques et bourgeois ont ainsi délibérément empêché l’accomplissement de la volonté populaire majoritaire sur une question qui touche à l’âme même d’une société. C’est grave et ne saurait rester sans suite dans la réflexion au sujet de l’adaptation nécessaire de nos institutions démocratiques à l’évolution de la société helvétique. On peut espérer que - conscients du risque de déconnexion grandissante entre le personnel politique et la population ( cf. l’avertissement de l’acceptation d’extrême justesse du crédit pour les avions de combat) - quelques politiciens bourgeois éclairés ( et il y en a, si, si ! )
empoigneront sérieusement ce problème , faute de quoi tout laisse penser qu’il deviendra récurrent.
Pierre Chiffelle
Il y a 1 mois
N'oublions pas que l'acceptation par le peuple tourne autour de 50.7% et que le contre-projet, raisonnable et qui va dans le même sens que l'initiative, est prêt et sera appliqué très rapidement.
Il y a 1 mois
Precieux ce systeme. Il evite que 50.7% de la population impose sa vue a 49.3% de la population. Surtout quand il s'agit d'une loi qui imposait a l'accuse de prouver son innocence. Il y a des principes qu'il ne faut jamais abandonner.
Il y a 1 mois
Gageons que de nombreux perdants d’aujourd’hui comprendront mieux les réactions de Trump face à sa défaite: lui aussi voudrait changer les institutions pour les adapter à ses propres objectifs. On retrouve ici une curieuse et intéressante communauté de pensée. La démocratie suisse est exemplaire, n’est ce pas, mais dans la victoire comme dans la défaite. Que le Temps se retrouve parmi les mauvais perdants devrait surprendre, ... ou peut-être pas.
Il y a 1 mois
La double majorité est une nécessité dans un état fédéral.Sans elle les Cantons ayant la majorité de la population réduiraient les petis cantons à être une éternelle "minorisation" ,une situation qui conduirait à la négation ,de facto , d'un fédéralisme équilibré.