Opinion
OPINION. A Bruxelles, Jean Russotto analyse quelle pourra être la réaction de l’UE après la décision de la Suisse du 26 mai d’abruptement renoncer à l’accord institutionnel. Sa tâche sera bien moins ardue que le lourd pensum que la Suisse s’est infligé

Le désappointement est grand à Bruxelles et dans les capitales européennes qui croyaient avoir convaincu la Suisse de la nécessité et de l’utilité d’un accord institutionnel équilibré, progressivement frappé d’anathème. Ce dénouement est perçu comme une défaite diplomatique couplée à une rudesse inhabituelle dans la forme. Un autre sentiment est sur toutes les lèvres: pourquoi, après un dialogue de plus de dix ans, la Suisse a-t-elle brûlé ce qu’elle disait apprécier, faisant comprendre que le dogmatisme et l’inflexibilité de l’UE sont la cause de la rupture? Des années de travaux galvaudés et des portes claquées. On ne peut que paraphraser l’évidence à Bruxelles: la Suisse n’a vraiment pas d’amis européens, elle n’a que des intérêts. Le goût amer de la pilule ne se dissipera pas de sitôt. Quant à ce qui se passera dans le futur, les quelques points qui suivent résument la fragilité, si ce n’est la légèreté de l’approche présentée.
Premièrement, l’UE ne réagira que lorsqu’elle aura évalué le nouvel état de fait. La Commission, plus précisément le Service des affaires étrangères (EEAS), sera à la manœuvre. Le dossier suisse, jusqu’à récemment dans les mains de la présidente de la Commission, passera dans celles des experts qui travaillent de pair avec les experts européens. Cet examen prendra du temps mais devrait être achevé pour l’automne. C’est en fin d’année que le Conseil des ministres de l’UE devrait adopter ses nouvelles conclusions sur l’état des relations avec la Suisse. Il s’agit d’un document politique de la plus haute importance, revu tous les deux ans et auquel la Suisse n’a jamais accordé grande crédibilité.
La perplexité est réelle à Bruxelles
Deuxièmement, il appartiendra à la Suisse de reprendre le contact avec l’UE, et non pas l’inverse. La Suisse entend entamer un dialogue politique structuré à haut niveau. La perplexité est réelle à Bruxelles: pourquoi vouloir parler de la voie bilatérale – qui reste en place avec sa pléthore d’accords – alors que la Suisse a refusé d’asseoir sa relation sur un socle institutionnel pérenne? Veut-on ainsi poursuivre une conversation vieille de dix ans ou alors veut-on plutôt ouvrir une page nouvelle dans la relation? Dans n’importe quel cas de figure, il est vrai que le ridicule ne tue pas mais il mettra affreusement mal à l’aise la Suisse. C’est l’évidence même, un couple désuni doit poursuivre le dialogue ne fût-ce que pour convenablement gérer le quotidien. L’UE ne refusera pas d’entrer en matière, le moment venu, et imposera son propre agenda, cette fois sans scénario ubuesque. Elle fera tout ce qui est raisonnablement possible pour assurer le minimum d’un bon fonctionnement des accords, mais pas davantage.
Il appartiendra à la Suisse de reprendre le contact avec l’UE, et non pas l’inverse
Troisièmement, dans sa volonté de participer aux efforts de cohésion, la Suisse se dit prête à débloquer le milliard de la discorde, dû depuis 2007. La Suisse ajoute qu’elle entend compenser en quelque sorte le prix de sa participation accrue au marché intérieur de l’UE. Ici encore, Etats membres et Commission européenne avalent de travers. Cette modeste contribution, toujours impayée, serait la somme à débourser pour parfaire une participation au grand marché et simultanément tirer un trait sur une pitoyable controverse. L’accès au marché européen – qui n’est pas un supermarché – ne peut être réduit à une vision passéiste inacceptable.
La Suisse, un vrai pays tiers
Enfin, au-delà de la multitude des questions à régler, dont la plus urgente est la participation de la Suisse au programme européen de recherche, un point fondamental est passé sous silence. Le refus d’accepter une relation institutionnelle fera progressivement de la Suisse un vrai pays tiers, nonobstant les solides accords bilatéraux en place. La relation bilatérale est unique, privilégiée et n’a pas d’équivalent ni dans sa forme, ni dans son immense substance. On le sait, mais viscéralement, on se doit de critiquer sans cesse ce qui fonctionne ou devrait encore mieux fonctionner. De quoi décourager l’UE, qui pourrait bien laisser voguer cette barque si chargée d’animosités et de non-dits. L’inconcevable scénario, celui du pire pour les deux parties: laisser la Suisse là où elle le veut.
L’univers européen de la Suisse s’est dangereusement rétréci le 26 mai et continuera à se réduire lentement. Sans fracas politique ni catastrophe économique à court terme, la décision du 26 mai ne peut être interprétée que comme un retrait voulu de la Suisse de la politique d’intégration européenne, en particulier sa politique migratoire. La fiabilité de la Suisse est en question. Reconstruire la relation sans objectifs clairs, précis et articulés concrètement, aux seules fins de préserver et de développer ce qui a été fait avec succès, est une charade politique incompréhensible. Si l’on entendait se désengluer de l’hégémonie européenne, l’exercice est raté.
Quelques-uns de nos récents articles
- Entre la Suisse et l'UE, l’ère de glaciation commence
- Suisse-UE: aux jeunes de jouer
- Et maintenant, comment éviter la rupture (et la facture)
- Une revue de presse: L’accord-cadre est mort, la presse appelle à l’introspection
- L’accord-cadre avec l’UE est abandonné, reste un champ de ruines
- Notre chronologie illustrée de 29 années de tensions
Le Temps publie des chroniques et des tribunes – ces dernières sont proposées à des personnalités ou sollicitées par elles. Qu’elles soient écrites par des membres de sa rédaction s’exprimant en leur nom propre ou par des personnes extérieures, ces opinions reflètent le point de vue de leurs autrices et auteurs. Elles ne représentent nullement la position du titre.