ÉDITORIAL. Le volume sonore du discours complotiste augmente sans cesse. Comment réagir? Sûrement pas en se bouchant les oreilles

Vous le saviez, vous, que Joe Biden était mort? Et qu’il avait été remplacé par Jim Carrey, l’acteur au visage élastique? Non? L’histoire, plutôt dingue, fait pourtant florès dans les milieux complotistes. Comme bien d’autres, tout aussi abracadabrantes – la Terre est plate, la Lune est creuse, les vaccins anti-covid ont servi à inoculer des puces 5G dans le but de nous asservir (alors qu’il suffisait d’avaler de l’eau de Javel pour guérir), et Hillary Clinton dévore des bébés.
On pourrait en rire – et il faut en rire, d’ailleurs. Mais on ne peut pas s’en contenter: ces élucubrations ont des conséquences bien réelles sur nos existences et sur la marche du monde dans lequel nous vivons. Chez nos voisins français, un autoproclamé naturopathe, chantre de pratiques de jeûne censées soigner le cancer, a été mis en examen il y a deux semaines pour homicide involontaire après la mort d’une de ses patientes. Et l’on a suffisamment documenté la porosité qui s’est fait jour, dès l’invasion de l’Ukraine le 24 février 2022, entre les milieux antivax et les sphères pro-russes.
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C’est là la résultante d’une méfiance exacerbée face aux pouvoirs en place, envers les médias qu’on qualifie de «mainstream», et contre la pensée scientifique. Une défiance que l’on pourrait mettre au crédit de l’insécurité qu’un monde anxiogène laisse dans son sillage; mais l’angoisse n’explique pas (ni ne justifie) les interprétations aberrantes et les informations de carnaval qui pullulent, sans cesse plus contagieuses, sur les réseaux sociaux.
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Pour se signaler
La question centrale devient peut-être alors celle-ci: comment tombe-t-on dans ces panneaux? Le neuroscientifique Sebastian Dieguez, dans un livre qu’il vient de consacrer au sujet, donne cette réponse à la fois contre-intuitive et éclairante: «On ne «tombe» pas dans une théorie du complot en dépit du fait que son contenu et ses origines soient suspects, mais précisément parce qu’elle présente ces caractéristiques.»
Autrement dit: le fait de proclamer, par exemple, que notre planète ressemble en tout point à une assiette est le résultat d’une adhésion consciente et volontaire à cette idée saugrenue. Surtout, cette adhésion se fait dans un but bien précis, identitaire: il s’agit de se signaler (osera-t-on dire faire son intéressant?) et de témoigner de son appartenance à un groupe contestataire.
Dès lors, comment convient-il de réagir? En descendant dans la rue avec des pancartes proclamant que la Terre est ronde? Ce n’est pas l’envie qui manque, ça provoquerait quelques éclats de rire (et rire, c’est bon pour la santé). La proposition est absurde, bien entendu, mais elle contient peut-être un début de bonne idée, qui consisterait à chercher les moyens propres à faire baisser ces tensions, à la fois ridicules et dangereuses, qui nous opposent. A retrouver, là au moins, un peu de légèreté. Notre monde est suffisamment mal en point comme ça; ne perdons pas notre temps à nous quereller sur sa forme.
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