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Le casse-tête de l’évaluation de l’impact de la finance durable

Lore Vandewalle, qui a fait la curation de toutes les tribunes sur la finance durable publiées par «Le Temps» cette semaine, revient en conclusion sur le point le plus sensible: la mesure de son impact

Les travaux de Michael Kremer, Esther Duflo et Abhijit Banerjee (de gauche à droite), récompensés par un Prix Nobel d’économie en 2019, offrent une voie possible pour évaluer l’impact de la finance durable. — © Jonas Ekstromer/TT News Agency/AFP
Les travaux de Michael Kremer, Esther Duflo et Abhijit Banerjee (de gauche à droite), récompensés par un Prix Nobel d’économie en 2019, offrent une voie possible pour évaluer l’impact de la finance durable. — © Jonas Ekstromer/TT News Agency/AFP

En amont de la conférence Building Bridges, qui aura lieu du 29 novembre au 2 décembre à la Maison de la paix, à Genève, Le Temps a confié ses espaces dévolus aux opinions à Lore Vandewalle, professeure associée au département d’économie de l’Institut de hautes études internationales et du développement, qui a réuni une série de tribunes autour de la finance durable. Voici sa conclusion.

Au cours de la semaine écoulée, la finance durable a été traitée sous plusieurs angles. Nous nous intéressons aujourd’hui à la mesure de l’impact que la finance durable entend générer. Quelle est l’augmentation du nombre d’années d’éducation ou de combien la pauvreté a-t-elle reculé? Ou encore: quelle a été la réduction des émissions de CO2 sous l’effet de tel investissement dans les énergies renouvelables? S’il est important de poser ces questions, il n’est pas simple d’y répondre, comme nous allons le voir.

Pourquoi est-ce important? D’abord, comme cela a été écrit à plusieurs reprises cette semaine, le besoin en financement est plus élevé que les ressources disponibles. Pour atteindre les Objectifs de développement durable (ODD), il importe de canaliser les fonds disponibles vers les projets qui ont le plus d’impact sur l’humanité et l’environnement, c’est-à-dire investir dans les programmes à la fois les plus économes et efficaces. Ensuite, l’absence de mesure d’impact ouvre la porte aux discours de façade et aux décisions prises sur la base d’éléments anecdotiques. Par exemple, la question de savoir si le microcrédit est une solution miracle ou un outil dangereux a suscité de nombreux débats ces dernières années. D’autant plus que de nombreux témoignages abondent en sa faveur, comme en sa défaveur.

Lire aussi notre interview du spécialiste de la finance d’impact Guillaume Taylor: «La finance durable doit redéfinir la responsabilité collective»

Comment évaluer cet impact? Selon Abhijit Banerjee, Esther Duflo et Michael Kremer, lauréats du Prix Nobel d’économie 2019, la réponse la plus nette serait apportée par les essais randomisés contrôlés (ECR). Dans ce cadre, les participants à l’étude sont répartis aléatoirement dans deux groupes, le groupe test qui reçoit le traitement expérimental et le groupe de contrôle qui ne le reçoit pas. La répartition aléatoire garantit que les sujets testés et les sujets contrôlés sont dans l’ensemble égaux, si ce n’est par le traitement reçu. Par conséquent, pour obtenir l’impact causal de l’intervention, il suffit de comparer les différences sur la moyenne des résultats entre le groupe testé et le groupe de contrôle. En 2015, une série d’articles publiée dans une revue prestigieuse s’est appuyée sur cette méthode pour étudier l’impact du microcrédit dans six pays. Les auteurs en ont conclu que ce n’est, pour l’emprunteur moyen, ni une solution miracle, ni un outil dangereux.

Développer d’autres méthodes

Les évaluations rigoureuses ne sont, hélas, pas toujours possibles. Elles sont chronophages et coûtent cher. Toutefois, les chercheurs ont développé d’autres méthodes, en détectant et en exploitant des formes cachées de randomisation. Revenant sur la question du microcrédit, un article publié au début de cette année montre qu’à la suite de la crise indienne, en 2010, les salaires, les revenus et la consommation des foyers indiens ruraux ont reculé. Pour estimer ces effets, les auteurs ont étudié les différences d’intensité avec laquelle les régions ont été touchées par la crise: dans certaines, les affaires ont suivi leur cours, tandis qu’ailleurs l’accès aux prêts a été rendu plus difficile. Tous travaux confondus, le microcrédit n’est peut-être pas l’outil qui éradiquera la pauvreté, mais il joue un rôle important en aidant les familles pauvres à lisser leur consommation dans le temps.

Lire aussi: Finance durable: la transparence, c’est maintenant

Quelle est la piste la plus prometteuse? D’abord, les organismes d’investissement devraient être plus transparents sur la mesure de l’impact qu’ils prétendent générer. Pour attirer les bailleurs de fonds, ils se servent généralement de témoignages (positifs). Les investisseurs doivent se garder de les prendre pour argent comptant, surtout s’ils cherchent vraiment à investir dans les projets qui produisent l’impact le plus élevé. Cela ne sous-entend pas que ces investissements ne sont pas bons. De fait, une certaine dose de pragmatisme est nécessaire. Dans la mesure où elle permet d’éviter les discours de façade, la taxonomie de l’Union européenne fera faire un grand pas dans cette direction. Mais il y a encore des marges d’amélioration pour affermir la volonté d’investir dans des fonds durables afin d’obtenir un impact plus élevé. Le secteur pourrait ainsi travailler plus étroitement avec les universitaires, car les connaissances ont beaucoup progressé au cours de ces vingt dernières années.

Traduit de l’anglais par Pascale-Marie Deschamps/Fast ForWord