Ma semaine suisse

En catimini

Ni conférence de presse, ni champagne. Juste un communiqué. Comme si l’information était banale; comme si elle devait déclencher le moins de bruit possible. Qu’il est difficile de camoufler ce qui a l’allure d’une sortie en catimini. C’est peu dire que les conditions dans lesquelles Pierre-Marcel Revaz quitte la présidence du Groupe Mutuel ne collent pas avec sa flamboyante carrière.

Le contraste est spectaculaire avec ce jour glorieux de 1993, quand Pierre-Marcel Revaz, fringant quadra, patron bling-bling et culotté, tenait en haleine la presse nationale conviée en Valais pour découvrir la création de l’Association Groupe Mutuel. Un entrepreneur sûr de lui, conquérant, amusé de sa propre audace, dévoilait ses grandes ambitions. Les nombreuses demandes d’interview furent satisfaites au restaurant gastronomique Le St Christophe à l’issue d’un repas festif qui se prolongea tard l’après-midi.

Ce jour-là, une entreprise romande affichait la couleur: devenir championne nationale dans l’industrie des services. Quelques semaines plus tôt, la Mutuelle Valaisanne, dirigée par Revaz, avait signé un joli coup, prémonitoire. Elle mettait la main sur la Caisse maladie du Syndicat du bois et du bâtiment à Zurich, au nez et à la barbe de plusieurs grandes compagnies alémaniques. Sur le marché de l’assurance maladie qui se consolidait à coups de fusions de caisses, l’assureur de Martigny prétendait faire «mieux et différemment». Rien que ça!

Revaz avait testé sa stratégie commerciale en Valais à partir de la Mutuelle Valaisanne. Son modèle: agréger des caisses sous un toit commun et un label unique – le Groupe Mutuel. Les caisses acquises ne sont pas dissoutes, chacune conserve son nom, elles sont gérées individuellement par l’entité commune, sorte de holding qui leur apporte son savoir-faire (finance, gestion, informatique, analyse de risques, etc.). Plus tard viendra la diversification, qui compliquera encore un peu tout ce qui se noue dans cette structure inédite d’«association». A l’assurance maladie – la base et les complémentaires – s’ajouteront en effet l’assurance accident, l’assurance vie, la prévoyance professionnelle.

Au tournant de 1993, le Groupe Mutuel compte 172 000 assurés et emploie 266 collaborateurs pour un chiffre d’affaires de 358 millions. Vingt ans plus tard, Pierre-Marcel Revaz peut être crédité d’une success story conduite avec un rare esprit d’entreprise, beaucoup de professionnalisme, de créativité et d’habileté à exploiter sa construction réputée plus opaque que les compagnies traditionnelles. Les indicateurs impressionnent: 1,4 million d’assurés, 1900 collaborateurs, 4,6 milliards de chiffre d’affaires; l’entreprise jouit de finances solides.

Mais toute croissance rapide est porteuse de dangers. Surtout dans un domaine aussi sensible que l’assurance maladie: un monopole public – l’assurance de base – délégué à des opérateurs privés; lesquels utilisent l’assurance de base obligatoire comme produit d’appel pour vendre simultanément des contrats privés. De la géométrie très particulière de ce secteur qui mélange les genres découlent des obligations strictes en termes de gouvernance. Elles ont été actualisées en 2009 dans la circulaire 2008/32 de l’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (Finma). Il s’agit de prévenir les conflits d’intérêts; de prévoir des systèmes de rémunération «appropriés»; d’encourager un comportement éthique à tous les niveaux de l’entreprise.

Est-ce par méfiance à l’égard de Berne – réflexe du Valaisan? Ou de l’arrogance de la part de celui qui a réussi mieux que les autres? La faiblesse de Pierre-Marcel Revaz aura été de sous-estimer l’importance des nouvelles règles et la détermination de la Finma à les faire respecter. A entendre des proches du dossier, le chef du Groupe Mutuel a longtemps temporisé avant de comprendre qu’il ne pouvait plus se dérober, sauf à créer un clash dont il sortirait perdant, et sa société affaiblie.

Cela fait plusieurs années qu’il n’y a pas de réel contre-pouvoir à l’autorité de Pierre-Marcel Revaz à l’intérieur des organes dirigeants du Groupe Mutuel. Cela se savait dans la branche. Quand la Finma s’en est souciée, elle n’a plus lâché. Sans clore ni annuler l’enquête ouverte par le surveillant, la réorganisation du comité d’entreprise annoncée lundi signe une sortie par la petite porte du plus grand patron valaisan.

La faiblesse de Pierre-Marcel Revaz aura été de sous-estimer la Finma

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