A partir de combien d’attaques racistes décide-t-on de répliquer? Quel niveau de violence accepter de taire avant de prendre la parole en public? Combien de temps faut-il attendre, quelle quantité de patience faut-il déployer avant de comprendre que les insultes et les injures ne cesseront pas d’elles-mêmes, et qu’il va falloir prendre le monde à témoin pour enfin, peut-être, faire cesser le harcèlement?

Ce sont toutes ces questions que Cécile Djunga a dû ressasser dans sa tête avant de passer à l’acte mercredi dernier, et de diffuser sur sa page Facebook une vidéo révoltée, dénonçant les attaques continuelles dont elle fait l’objet, depuis un an qu’elle présente la météo sur la RTBF, le service public belge.

«On va arrêter de me dire «Rentre dans ton pays»

«Au début, j’en riais, je prenais ça avec humour», a-t-elle raconté ce week-end à Yann Barthès, dans son émission Quotidien, sur TMC. L’humour, la Bruxelloise d’origine congolaise connaît bien, c’est même son premier métier: Cécile Djunga est comédienne, passée par le Djamel Comedy Club. Son deuxième et dernier spectacle, Presque célèbre, marche plutôt bien, ses capsules vidéo Mademoiselle Ballon sur les matchs des Diables rouges pendant le Mondial ont cartonné, et lui ont même valu de faire la première partie d’un concert de Youssou N’Dour, fin juillet à Bruxelles. Mais même le plus tolérant des humours s’arrête quand les agressions prennent toute la place. Trop, c’est trop.

Cécile Djunga a commencé son message en souriant, racontant la goutte d’eau qui a tout fait déborder, cet appel à la télévision d’une spectatrice se plaignant de ne pas la voir parce qu’elle était trop noire «et il faut lui dire». Puis sa gorge se serre et elle est soudainement au bord des larmes. «On va arrêter de me dire «Rentre dans ton pays» parce que je suis dans mon pays […] Ça va s’arrêter, on va se liguer. Il y a eu #Balancetonporc, il y aura maintenant #Balancetoncon.»

Un coup de gueule qui a fait l’effet d’un petit séisme: six jours plus tard, sa vidéo a été visionnée presque 2,5 millions de fois, la présentatrice a reçu des milliers de messages de soutien, et la direction de la RTBF est montée au créneau, condamnant avec vigueur ces attaques, annonçant des poursuites judiciaires, car le racisme est un délit en Belgique. «Fuck le racisme», a prononcé en direct le présentateur du téléjournal du soir.

«La Belgique est-elle dans le déni?»

La RTBF a aussi concocté une autre vidéo, mettant en scène une partie de ses journalistes d’origine étrangère qui lisent certains messages racistes qu’ils ont reçus: «Vos cheveux bouclés, vos yeux en amandes, c’est pour les îles! Retournez chez vous!» dit l’une. «Bientôt on va manger du couscous et mettre des babouches», dit l’autre. Le patron de la RTBF fait aussi son devoir de lecture: «Laissez la place à une personne de couleur blanche ou de couleur européenne.» Tous ces messages sont incrustés dans la vidéo et montrent donc le nom de leur auteur.

«Racisme, la Belgique est-elle dans le déni?» s’est immédiatement interrogé le quotidien bruxellois Le Soir. Au début de septembre, des agressions racistes ont eu lieu au festival de musique du Pukkelpop et dans la ville d’Aarschot, en Flandre. «Depuis quelques années, en Belgique, avec la Nouvelle Alliance flamande, on a banalisé la parole raciste», explique le socialiste Paul Magnette. Le sujet pourrait bien occuper une bonne place dans la campagne pour les élections européennes de 2019.

«Les médias ont aussi un rôle important à jouer dans la lutte contre le racisme, écrit Cécile Djunga. Plus de diversité dans les programmes, les pubs, les présentateurs. Tout le monde doit pouvoir s’identifier en allumant la télé. Que les médias deviennent le reflet de la société multiculturelle dans laquelle on vit.»


Cécile Djunga sera à Genève le 15 septembre dans le cadre du festival Afrik, Rire & Culture

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