Ann Kato
Notre chroniqueuse, elle-même neuroscientifique, décrit une étude classique dans le domaine des neurosciences cognitives montrant que le cerveau humain adulte peut subir des changements structurels durables. L’étude a été menée avec des chauffeurs de taxi qui ont dû mémoriser les rues de Londres afin de réussir leur permis de conduire
Vous êtes-vous déjà demandé ce qu’il faut pour conduire un taxi dans la ville de Londres qui compte 8 millions d’habitants? Londres est un labyrinthe de rues à l’opposé des villes de New York et de Paris qui ont planifié une circulation avec un peu plus d’organisation.
Une neuroscientifique, le professeur Eleanor Maguire de l’University College London a décidé d’étudier le cerveau des chauffeurs de taxi londoniens pour déterminer s’ils étaient différents. Le professeur savait qu’une partie du cerveau appelée l’hippocampe est nécessaire tant pour la mémoire à long terme que la navigation spatiale. Pendant 4 années, elle a mené une étude sur cette structure en utilisant l’imagerie par résonance magnétique. 79 chauffeurs-stagiaire de taxi y ont participé. A titre comparatif, le professeur a étudié simultanément la même région du cerveau sur 31 personnes qui n’ont jamais conduit de taxis, mais qui étaient du même âge, d’une éducation et d’une intelligence similaire aux 79 chauffeurs-stagiaires. Au début de l’étude, tous les participants avaient une taille d’hippocampe comparable. Ils ont également tous réussi assez bien des différents tests de la mémoire.
Les chauffeurs de taxi passent 3 à 4 ans d’entraînement autour de Londres sur leurs vélomoteurs, mémorisant 25’000 rues dans un rayon de 10 km de la gare de Charing Cross ainsi que des milliers d’attractions touristiques et des «points chauds». Seulement la moitié d’entre-deux réussissent l’examen. Selon un chauffeur, il s’agit d’avoir une bonne mémoire et un tempérament calme pour conduire à Londres. En outre, un chauffeur de « london black taxicab» est un travailleur indépendant qui arrive à gagner presque le double d’un chauffeur de « minicab » pour le même trajet.
Quatre ans plus tard, 39 des 79 stagiaires ont réussi leur permis. Les études d’imagerie par résonance magnétique ont montré que les chauffeurs qui ont réussi leur examen avaient un hippocampe plus grand que 4 ans plus tôt.
Qu’est-il arrivé à leur cerveau ? Soit des nouveaux neurones ont poussé ou les neurones existants ont fait plus de connexions avec leurs voisins. Alternativement, les cellules gliales, les cellules non neuronales du cerveau, auraient augmenté en nombre dans l’hippocampe.
C’est une preuve de plus que l’utilisation du cerveau peut provoquer des modifications physiques et spécifiques dans le cerveau. En d’autres termes, l’exercice cognitif est capable d’induire la « plasticité » du cerveau. Ce type de recherche pourrait avoir des implications importantes pour les personnes atteintes de lésions cérébrales ou de maladies telles que la maladie de Parkinson. Peut-être même une plasticité limitée dans le cerveau pourrait aider à récupérer une partie de leurs fonctions. Il est étonnant que le cerveau adulte soit capable de se modifier à la fois dans son état normal ainsi que dans un état de maladie.
Prof. Ann Kato, professeure honoraire du Département des Neurosciences Fondamentales, Faculté de Médecine de l’Université de Genève
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