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La Chaux-de-Fonds, une politique socialiste incarnée

Histoires d’une ville de gauche

Plus ça change, plus c’est la même chose. La grande peur des classes aisées d’un retour des socialistes au pouvoir fait écho aux valises de francs (français) qui auraient franchi la frontière helvétique pour trouver un refuge dans les coffres des banques suisses lors de l’élection de François Mitterrand en 1981.

Les partis de droite ont tenu des propos équivalents en 1912 pour écarter la perspective d’une majorité de gauche à La Chaux-de-Fonds qui ne pourrait, prétendaient-ils, que mal gérer les finances de la commune, gonfler l’endettement et faire fuir les (riches) contribuables et les entreprises. Les «collectivistes» l’ont pourtant emporté.

Le livre publié récemment par le Parti socialiste de La Chaux-de-Fonds pour marquer le centenaire d’une ville à majorité de gauche n’est pas seulement intéressant comme témoignage d’un mouvement qui a perduré grâce à l’engagement de milliers de personnes. Il l’est aussi pour permettre de recadrer dans leur contexte historique les mille et une luttes qui se sont déroulées dans le siècle: logement et urbanisme, écoles et formation, politique sociale, culturelle et sportive, finances, fonction publique, intégration des migrants, pacifisme, droits des femmes.

Ce recadrage, s’agissant des finances publiques, montre que les positions, en cent ans, n’ont pas changé d’un iota. Et ces positions sont un peu universelles. Droite et gauche s’affrontent aujourd’hui comme hier sur leurs compétences/incompétences respectives à bien/mal gérer les deniers des contribuables.

«Du point de vue des finances publiques, cette première législature (1912-1915) à majorité socialiste ne justifie pas les craintes de la droite de voir la gauche les laisser filer. Certes, sur cette période de trois ans, les comptes sont déficitaires deux fois sur trois. Mais il convient de préciser que les années 1914 et 1915 ont vu croître un déséquilibre important entre les revenus et les charges en raison de la baisse des recettes et des dépenses supplémentaires liées à la crise et à la guerre (ouverture de chantiers pour chômeurs). C’est à cette époque qu’à l’initiative des organisations ouvrières, on constitue une Commission de secours aux chômeurs dans la gêne, chargée de trouver des moyens financiers. L’impasse financière, apparue surtout en fin de législature, explique sans doute la perte des élections de 1915. A moins que les 1907 personnes privées du droit de vote en raison de leurs arriérés d’impôts en soient la cause! Ce n’est qu’en 1925 que le droit de citoyenneté ne sera plus lié à des conditions fiscales.»

Les faits sont têtus

Revenue au pouvoir en 1915, la droite ne fait pas mieux ni différemment. «La dette s’accroît, le montant total des allocations spéciales pour contrer les effets du renchérissement augmente, de même que les dépenses liées au chômage. On cherche de nouvelles recettes: taxe sur les spectacles et imposition des bénéfices immobiliers sont les pistes privilégiées. Les faits sont têtus, la droite pas plus que la gauche ne parvient à améliorer un tant soit peu des finances publiques plombées par la crise et la guerre. Les socialistes gagnent les élections de 1918.»

Ils reprennent la construction de logements communaux. La Chaux-de-Fonds se place «à la tête des communes dans le domaine des allocations de renchérissement accordées aux fonctionnaires». La ville introduit en décembre 1918 la journée de huit heures dans l’administration – c’était une des neuf revendications du Comité d’Olten qui dirige la grève générale (12-14 novembre 1918)! Elle crée une caisse de retraite pour les fonctionnaires.

Les questions financières ne sont pas tout. Un tract socialiste pour les élections de 1921 «ne fait pas dans la dentelle: 1912-1915, commune socialiste: 11 maisons, 110 logements. 1915-1918, commune bourgeoise: 0 maison, 0 logement. 1918-1921, commune socialiste: 11 maisons, 102 logements».

Cette politique de construction est une constante de La Chaux-de-Fonds, qui évolue avec le temps avec le subventionnement des constructions et le soutien aux coopératives immobilières. Elle s’élargit aussi par l’acquisition régulière de terrains, contre l’avis des partis bourgeois. L’apogée de cette politique sera «l’aventure de l’Unesco» et l’inscription en 2009 au patrimoine mondial de l’urbanisme horloger du Locle et de La Chaux-de-Fonds.

Dans le domaine de la politique sociale, le livre relève que «c’est là que l’on distingue clairement l’action d’un exécutif de gauche ou de droite. Dans ce champ laissé à l’autonomie communale, les autorités chaux-de-fonnières ont, durant un siècle, pris des orientations pour changer les conditions de vie des plus démunis. Si le discours est imprégné d’une perception distincte de la réalité sociale, les actes de la majorité de gauche ont véritablement incarné cette lecture.»

Terminons avec quelques réflexions qui ont toujours une certaine actualité. «En octobre 1912, après avoir acquis la majorité à l’exécutif, le Parti socialiste précise ses intentions et définit ce qu’il nomme «commune socialiste», à savoir une entité qui favorise la collaboration avec les employés, leur accorde des droits nouveaux et les libère d’un pouvoir hiérarchique imposant sa volonté par la force. Il s’agit bien de faire disparaître l’autoritarisme de l’administration.»