La Chine, championne des droits de l’homme?
chronique
AbonnéOPINION. La Chine a célébré l’éradication de la pauvreté. Un extraordinaire succès ou de la poudre aux yeux? s’interroge notre journaliste Frédéric Koller

Et si la Chine était le vrai champion des droits de l’homme? C’est ce qu’affirment Pékin et ses alliés au Conseil des droits de l’homme qui se tient à Genève. Le raisonnement est le suivant: premièrement, le gouvernement chinois protège mieux que quiconque sa population du covid avec deux fois moins de morts que la Suisse par exemple alors que sa population avoisine le 1,4 milliard d’individus. Qui dit mieux? Le droit à la santé n’est-il pas en tête de liste des droits humains? D’autre part, la Chine a éradiqué la pauvreté. Cela a été décrété officiellement fin février, plus aucun comté rural de Chine n’est considéré comme pauvre. N’est-ce pas le premier des droits de l’homme que s’extraire de la misère?
Le premier argument est douteux. Certes, la Chine a limité le nombre de victimes du covid, mais à quel prix pour sa population? Que sait-on des chiffres exacts de la pandémie sur son territoire? Et rappelons-nous que, selon un scénario qui reste privilégié par les spécialistes, le virus est non seulement apparu en Chine mais il a pu se propager sans entrave dans un premier temps en raison de la censure imposée par le pouvoir sur l’information. En réalité, la responsabilité du système chinois dans cette crise sanitaire mondiale est en question.
Un succès salué par l’ONU
Le deuxième argument est par contre recevable. Selon Pékin, la Chine a sorti de la pauvreté pas moins de 770 millions de personnes ces quarante dernières années dont 93 millions sous le règne de Xi Jinping. Cette réussite fait de la Chine un cas à part dans le monde en développement. Cette prouesse explique à elle seule en grande partie les chiffres de l’ONU établissant les succès de la lutte contre la pauvreté. Grâce à la Chine, la misère dans le monde a chuté de façon spectaculaire ce dernier quart de siècle. C’est un fait.
Si l’on applique cette règle, il y a toujours 373 millions de Chinois «extrêmement pauvres»
A y regarder de plus près, il faut nuancer le tableau. Pékin parle en fait d’«extrême pauvreté» et fixe son seuil à un revenu de 1,69 dollar américain par jour. Dans ce domaine, la Banque mondiale fait référence et pour elle le seuil minimum est de 1,9 dollar par jour. En Chine, cela fait une différence de plusieurs millions d’individus. Mais au vu du développement qu’elle a atteint, à savoir celui d’un pays à revenu intermédiaire supérieur, l’institution financière internationale préconise de fixer le seuil à 5,5 dollars par jour. Si l’on applique cette règle, il y a toujours 373 millions de Chinois «extrêmement pauvres» ou 27% de la population. La Chine n’aurait fait en réalité que la moitié du chemin.
1000 yuans par mois
Les experts chinois eux-mêmes ne contestent pas ces chiffres. L’an dernier, le premier ministre Li Keqiang ne déclarait-il pas que le revenu disponible de 600 millions de Chinois ne dépassait pas 1000 yuans par mois, un peu plus de 140 francs suisses? «C’est à peine assez pour louer une chambre dans une ville moyenne», ajoutait-il. Il faut encore préciser que les chiffres chinois s’appliquent au monde rural. La situation du monde urbain, où vit plus de la moitié de la population, est moins claire. S’ils le sont, c’est qu’ils révèlent l’explosion des disparités, la Chine étant devenue, durant ce même quart de siècle, l’un des pays les plus inégalitaires.
Comment se fait-il alors que Pékin claironne une victoire contre la pauvreté? Cela rehausse son bilan en matière de droits de l’homme, on l’a vu, alors que la pression internationale augmente pour sanctionner ses manquements (Xinjiang, Hongkong). Mais là n’est pas l’essentiel. Le Parti communiste avait fixé l’objectif d’une «société de petite aisance», c’est-à-dire sans pauvreté, pour son 100e anniversaire, en juillet prochain. Il peut dire aux Chinois: mission accomplie. En s’attribuant ce succès, Xi Jinping peut s’affirmer l’égal de Mao Tsé-toung ou de Deng Xiaoping. Un statut qui lui permet de convoiter un troisième mandat de dirigeant suprême l’an prochain, comme le lui autorise désormais la Constitution.
Les succès de la lutte contre la pauvreté en Chine sont indéniables. Ils ne sauraient pourtant servir d’excuses aux autres manquements en matière de droits de l’homme.
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