La déchéance a été aussi rude que le succès avait été fulgurant. Le rappeur chinois Zhou Yan, alias GAI, a été évincé mi-janvier de la populaire émission télévisée The Singer, malgré son éloge de la nation chinoise. Avant lui, Wang Hao, alias PG One, disparaissait des radars pour une chanson jugée misogyne et glorifiant la drogue.

Leurs fans craignent désormais que le hip-hop ne soit interdit en Chine. Les spéculations enflent depuis un mot d’ordre récemment lancé par un haut responsable de l’agence chargée de superviser les médias. Consigne aurait été donnée aux télévisions de ne pas donner l’antenne à des artistes tatoués ou représentant la culture hip-hop ni à des musiciens «en conflit avec les valeurs essentielles et avec la morale du Parti».

Une inquiétude palpable sur les réseaux

Aucune réglementation n’a encore été rendue publique, mais l’inquiétude est palpable sur les réseaux sociaux, qui tentent de comprendre ces mises à l’écart, en particulier celle de PG One. Le rappeur ne participera pas à la tournée Rap of China organisée dans la foulée du programme de télécrochet éponyme. Cette émission diffusée sur Internet l’été dernier s’est terminée en septembre après avoir enregistré près de 3 millions de vues. Elle avait permis de le rendre célèbre.

Les groupes les plus contestataires ne passent bien sûr jamais la barre du «mainstream» et préfèrent s’organiser à l’ombre des médias et du pouvoir

Nathanel Amar, post-doctorant à la Faculté des arts de l’Université de Hongkong

Mais le rappeur s’est attiré début janvier les foudres des médias officiels pour sa chanson «Christmas Eve», une apologie de la drogue. Il a fait amende honorable, expliquant «s’être laissé influencer par la musique noire» dont il avait «mal compris les valeurs dominantes». Le quotidien nationaliste Global Times a aussi appelé les rappeurs à «se repentir de leurs anciennes déviances» et à se «rééduquer». Le rap a gagné en notoriété, et c’est sans doute cette popularité qui a dû surprendre les censeurs.

Avec la nouvelle directive, le parti a rappelé qu’il contrôlait les médias et s’assurait que ses valeurs ne soient menacées par aucune culture populaire, estime Andrew Field, de l’université chinoise Duke Kunshan. Selon lui, l’interdiction ne «concerne pas toute la culture du hip-hop en Chine», et le genre va pouvoir continuer à se développer comme sous-culture et sur la scène underground.

«Pas forcément contestataire»

Si le gouvernement a visé le hip-hop, «c’est moins cette culture particulière qui est concernée que sa popularisation croissante au sein de la jeunesse chinoise», confirme Nathanel Amar. Ce post-doctorant à la Faculté des arts de l’Université de Hongkong rappelle que depuis quelques années, des représentants des sous-cultures sont cooptés dans des émissions grand public de télécrochet.

«Rap of China a surfé sur cette vague, présentant des titres qui font davantage référence à des soirées festives qu’à la politique. Le rap chinois n’est pas forcément contestataire.» CD-Rev, par exemple, chante essentiellement les louanges du Parti et même la Ligue de la jeunesse communiste ou l’armée ont utilisé des morceaux de rap pour servir leur propagande.

D’autres groupes revendiquent une forme d’indépendance, une identité régionale ou ethnique. Plus généralement, ils parlent de la vie quotidienne. «Les groupes les plus contestataires ne passent bien sûr jamais la barre du mainstream et préfèrent s’organiser à l’ombre des médias et du pouvoir chinois pour exister, à l’instar du mouvement punk», explique Nathanel Amar. Rappeurs et artistes doivent composer avec la censure, plus prégnante encore sous la présidence de Xi Jinping, selon qui l’art doit «servir le peuple et le socialisme» et les œuvres être «patriotiques».

«Fausses» notes = sanctions

Quand les fausses notes deviennent trop audibles, les sanctions tombent. Ainsi, en août 2015, les autorités interdisaient 120 chansons, dont beaucoup de rap, aux contenus «moralement nuisibles». Au début de 2016, Alibaba, Tencent et Baidu recevaient la consigne de «nettoyer» de leurs plateformes de streaming les contenus «malfaisants» et «préjudiciables».

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