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La chronique. L'homme, cet animal inquiétant, par Jacques-Simon Eggly

La chronique

Henry Dunant n'était pas un saint. Il n'était pas d'une grande rigueur en affaires, ce qui lui valut une fin de carrière pénible et une fin de vie solitaire dans un home d'un bourg d'Appenzell Rhodes-Extérieures, là même où est né l'actuel président du CICR. Destins croisés. Mais, à Solferino, le cœur et la conscience d'Henry Dunant ont parlé. Et lui a parlé, écrit, convaincu. Ce fut le début de la Croix-Rouge. Ce fut un progrès, un espoir pour les blessés et les prisonniers de guerre. La guerre n'en est pas devenue pour autant hors la loi de l'humanité. Toutefois, le pas franchi était de la vouloir moins inhumaine.

Or, lorsqu'on lit ce qui se passe, par exemple en Tchétchénie, on se demande si l'homme est vraiment capable de progrès moral. Sans doute, bien des faits et des signes montrent que la conscience collective est perfectible. Mais il suffit d'un contexte particulier, d'une guerre dure et sale pour que le vernis disparaisse et que réapparaisse la sauvagerie de toujours. Massacres, tortures, viols, éliminations aveugles: l'horreur est au rendez-vous. Alors, la tentation est souvent de croire que seuls certains peuples sont capables du pire. Complaisante erreur. A tour de rôle dans l'histoire, tous ont été capables de crimes abominables. L'Allemagne de Goethe est loin de celle de l'Holocauste, tandis que les organisateurs de la Terreur, en France révolutionnaire, n'étaient pas moins fanatiques, moins dénués de sensibilité humaine que les nazis. Quant aux Israéliens, héritiers d'une souffrance deux fois millénaire, ils succombent autant que les autres, dans certains cas, à la logique d'une violence autojustifiée.

Dans une vision pessimiste du monde et de l'homme, il faut conclure qu'il n'est pas de victimes, encore moins de bien-pensants préservés des tempêtes qui pourraient jurer être incapables de se transformer en bourreaux. C'est pourquoi chacun, tout en condamnant ce qui doit l'être, ferait bien d'être lui-même attentif aux replis et aux pulsions de son âme. Tout s'y meut en potentialités.

Si les Helvètes ont développé une vocation humanitaire, c'est que leur contexte politique, en Europe, les a préservés et leur a permis cette ouverture. Lorsque l'on compare les turbulences vécues par la Suisse et les secousses énormes subies par l'Autriche durant la première moitié du XXe siècle, on comprend que ces deux pays si voisins aient à regarder si différemment leur passé.

Pas de progrès moral définitif, donc, à attendre, et nul n'est à l'abri de l'affaissement moral. Il faut le savoir lorsque l'on juge les autres. Ce n'est pas une raison pour ne pas condamner toujours et partout les manquements aux droits de l'homme. C'est surtout une raison de s'engager dans le réseau des pressions juridiques et politiques afin de prévenir au maximum les dérapages et, quand ils ont lieu, d'en limiter autant que possible la durée.

Le débat est lancé, en Suisse, sur la forme de participation aux opérations de maintien de la paix. Mais qui peut douter que la Suisse, d'une manière ou d'une autre, est partie prenante à ce combat incessant pour le respect de l'homme? La crédibilité et donc l'efficacité de ce combat seront d'autant plus grandes que nous conviendrons qu'aucune nation, aucune armée ne sont propres ou perverties pour l'éternité, et qu'il faut essayer de neutraliser les tensions politiques qui ouvrent les vannes aux pires errements. En somme, il faut juste, toujours, mettre le doigt sur la plaie infligée à l'homme par l'homme au gré des événements qui l'y incitent.