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Accord-cadre: quand le Conseil fédéral réécrit l’histoire

OPINION. La présentation des faits par le Conseil fédéral pour justifier la rupture des discussions sur l’accord-cadre est une fable, écrit notre chroniqueur François Nordmann

Guy Parmelin lors de la conférence de presse pour annoncer la fin des discussion sur l’accord-cadre. Berne, 26 mai 2021. — © keystone-sda.ch
Guy Parmelin lors de la conférence de presse pour annoncer la fin des discussion sur l’accord-cadre. Berne, 26 mai 2021. — © keystone-sda.ch

L’accord institutionnel avec l’UE a donné lieu, la semaine dernière, à un débat urgent au Conseil national, aux travaux de la Journée de politique étrangère, organisée par l’Association suisse de politique étrangère et le think tank Foraus et à une interview à la SonntagsZeitung du conseiller fédéral Ignazio Cassis, chef du Département fédéral des affaires étrangères. Il s’agit à la fois de poser un diagnostic sur les causes de l’arrêt brutal des négociations par le Conseil fédéral et de dessiner les contours de la future relation avec l’UE.

Il est frappant de constater que les récents rapports du Conseil fédéral prennent pour point de départ le 18 décembre 2013, soit le jour où le Conseil fédéral a fixé les termes du mandat de négociation. Tout ce qui précède est considéré comme des «entretiens exploratoires» sur lesquels il n’y aurait pas lieu de s’arrêter. En fait, le Conseil fédéral efface purement et simplement les événements de 2012, année charnière au cours de laquelle la Suisse a proposé à l’Union européenne d’entamer des négociations. Celles-ci devaient porter sur la reprise du droit communautaire par la Suisse afin d’assurer l’homogénéité du marché intérieur, considérée comme étant de l’intérêt de notre pays. Mme Eveline Widmer-Schlumpf, présidente de la Confédération, en a informé le président de la Commission, M. José Manuel Barroso, en date du 15 juin 2012, en réponse aux demandes pressantes du Conseil des ministres de l’UE de 2008 et de 2010.

Berne a refusé toutes les formules de compromis

Aujourd’hui, les porte-parole du Conseil fédéral estiment qu’en acceptant d’emblée de traiter de la reprise du droit communautaire, la Suisse a abattu trop tôt sa meilleure carte, privant ainsi les négociateurs de «munitions» dans la suite des pourparlers. Pour compenser les effets de cette concession majeure consentie trop tôt, le Conseil fédéral de 2021 n’a eu d’autre choix que d’exiger tout à coup que la Commission européenne adopte sans les retoucher les propositions suisses sur la libre circulation des travailleurs. Berne a refusé toutes les formules de compromis, estimant que celles-ci n’étaient pas à la hauteur de l’offre suisse initiale, préparant ainsi la rupture du 26 mai 2021. Une telle présentation des faits est une fable: c’est réécrire l’histoire (d’ailleurs les documents pertinents ont disparu du site du DFAE bien que le procès-verbal du Conseil national y renvoie).

Il était évident que si les responsables de la politique extérieure d’alors n’avaient pas voulu parler de l’application du droit communautaire aux accords bilatéraux, il n’y aurait pas eu de négociations et la Suisse aurait été exposée à des pressions de ses partenaires qui auraient restreint sa marge de manœuvre. La décision de 2012 était courageuse; ne pas la prendre aurait été désastreux. La dénigrer aujourd’hui rompt avec la continuité diplomatique: en fait le Conseil fédéral, ayant laissé pourrir la discussion dans le pays, a préféré changer de cap et abandonner la ligne qu’il suivait depuis 2018 pour des raisons de politique intérieure.

Faire l’addition sans l’aubergiste

Quand un cheval se cabre devant l’obstacle, le cavalier calme et cajole sa monture et la présente de nouveau. Il n’y a aucune raison de penser que l’UE va renoncer à ses demandes constantes depuis treize ans. Les propositions fusent dans le pays pour décrire les futures relations avec l’UE. Qui peut le plus peut le moins: relancer l’adhésion comme veut le faire le PS alors qu’il a été incapable de se rallier à l’accord institutionnel, moins exigeant, n’est pas crédible. Opposer les Etats membres et les «bons pays voisins» à la Commission, c’est une politique à la Boris Johnson qui ne mènera pas loin.

La Commission a toujours été l’interlocutrice de la Suisse. Elle a décidé d’attendre les réunions de la fin de l’année pour se prononcer sur les propositions que la Suisse formulera dans l’intervalle. Pour le moment, j’ai l’impression qu’on est en train de faire l’addition sans l’aubergiste. La création d’un mécanisme institutionnel restera au centre des relations structurées entre la Suisse et l’UE comme c’est le cas depuis le 8 décembre 2008. Même le conseiller fédéral Ignazio Cassis ne l’exclut pas, «quand la fumée se dissipera» et dans des conditions plus claires.

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