(in)culture
A l’heure où les musiques urbaines ont dépassé le rock sur le marché mondial, le continent noir est en train de s’imposer comme un fabuleux laboratoire

Avez-vous déjà fait l’expérience de devoir écouter malgré vous une chanson en boucle pendant des heures et des heures? Cela m’est arrivé, en 1998, lors d’un long trajet en car de 24 heures entre le Mali et le Burkina Faso. Le chauffeur d’un des deux bus successifs qui m’ont amené d’un pays à l’autre ne possédait visiblement qu’une seule cassette. Je ne me souviens plus de quel trajet il s’agissait, mais je me rappelle par contre parfaitement que cette cassette contenait l’hymne de la Coupe d’Afrique des nations, dont j’allais suivre quelques matchs entre Ouagadougou et Bobo-Dioulasso. Ce titre avait fini par m’obséder au point qu’à peine arrivé au pays des hommes intègres, je me l’étais procuré.
Revoir notre mini-série documentaire: La fanfare du Bénin et les rappeurs genevois
«Alors, tu aimes la musique africaine?» C’est la question qu’on m’a le plus souvent posée au retour de ce voyage d’un mois effectué en compagnie de cinq amis. Sur le moment, je n’avais pas réalisé à quel point elle était absurde. Cela reviendrait à demander à un Burkinabé s’il apprécie la musique européenne, sans faire de distinction entre le punk anglais, l’électro-pop islandaise, le fado portugais et le Chlausezäuerli appenzellois. Il n’y a bien sûr pas une musique, mais des musiques africaines.
Les temps changent
Longtemps, on a eu, sur le Vieux-Continent, ce réflexe post-colonialiste consistant à penser qu’un «vrai» artiste africain travaillait sur ses terres avec des musiciens locaux, se faisait l’hériter d’une tradition. Alors qu’on tolérait parfaitement qu’un groupe de rock lausannois parte enregistrer aux Etats-Unis avec le producteur de Nirvana. Mais, comme l’on dit lorsqu’on ne sait pas trop comment se justifier, les temps changent. La dématérialisation des supports comme l’avènement des musiques urbaines, qui par essence sont nées d’incessants métissages, font qu’aujourd’hui, c’est peut-être sur le continent africain que s’inventent les sons de demain.
A la fin du mois de novembre, Accra accueillait le grand marché musical Acces. L’occasion pour une collègue qui s’y est rendue de se rendre compte de l’ahurissante diversité d’une scène musicale qui a vu l’afrobeat se muer en afrobeats, les folklores traditionnels se frotter au hip-hop. Il y a quelques jours, Mathieu Jaton, qui est en train de finaliser la programmation du 54e Montreux Jazz Festival, me confirmait que ces prochains mois, après la vague reggaeton observée en 2019, ce sont bien les artistes africains qui devraient, à l’image du Nigérian Burna Boy, s’imposer dans la grande sono mondiale. D’ici là, j’aurai peut-être retrouvé cette cassette achetée il y a vingt-quatre ans au Burkina.
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