Menant une croisade contre les anglicismes, un lecteur nous prie de nous abstenir dorénavant d’en faire usage et nous écrit: «Qui aurait encore envie d’apprendre le français si celui-ci n’était même plus capable de décrire les réalités modernes avec ses propres mots?»

Que lui répondre? Que le temps des Croisades est révolu? Ou plutôt qu’il est trop tard pour s’offusquer des incursions récurrentes de termes anglo-saxons qui déferlent dans notre vocabulaire plus impérieusement qu’une armée de templiers? En vérité, il s’agit ici d’une disruption du langage – de l’anglais disruptive, signifiant «perturbateur», dont l’origine elle-même est latine, le verbe disrumpere équivalant à «rompre».

Des étymologies gigognes ont donné naissance à de nombreux mots, alors pourquoi jouer les rigoristes? A l’époque des blogs, des start-up et du big data, il est difficile de faire barrage au flot continu des anglicismes nouveaux et de leurs dérivés, en invoquant le temps perdu où les seuls emprunts so British se résumaient à «club», «wagon» ou «match»…

Bienveillance, donc

Essayons d’être bienveillants envers ces mots étrangers qui nous écorchent, avant d’en faire un burn-out. Si, au lieu d’envisager le recours à des termes d’outre-Manche comme une défection, une faiblesse, on le considérait plutôt comme un enrichissement, ces éléments idiomatiques donnant une épaisseur nouvelle à notre pensée, des possibilités d’appropriation de concepts inédits et dont la traduction littérale appauvrirait la portée?

Dans cette perspective, on n’imagine pas suivre les bien-pensants stylistiques en transformant fan zone en «espace réservé aux supporteurs», tweet en «gazouillis» ou web en «toile d’araignée mondiale». Quel sens aurait notre discours avec de telles paraphrases? Heureusement que la mondialisation est là pour donner du swag à la langue française.


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Mauvais genre

Des cervidés à libérer de leur joug dans la langue française

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