Les anonymes du 6 juin 1944
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L’historien Giles Milton célèbre, dans «D-Day: les soldats du débarquement», ces dizaines de milliers d’inconnus qui ont participé à l’effort collectif de l’opération «Neptune»

Au moment où j’entame cette chronique se concluait, il y a exactement 75 ans, l’une des plus importantes batailles de l’histoire de l’humanité. Avec le recul, il est facile de mesurer à quel point le débarquement du 6 juin 1944, baptisé opération «Neptune», a marqué le début de la fin de la Seconde Guerre mondiale. La plus vaste opération «Overlord», à savoir la reconquête du nord-ouest de l’Europe par les troupes alliées, pouvait alors débuter.
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Tout enfant découvrant l’horreur indicible de la Shoah s’est posé cette question: que serait-il advenu en cas de victoire du IIIe Reich? Est-ce que l’Allemagne nazie serait partie défier Mao? Est-ce que Walt Disney aurait inauguré à Anaheim un Hitlerland? En 1937 déjà, la romancière britannique Katharine Burdekin publiait Swastika Night, un récit d’anticipation évoquant un partage du monde entre deux grandes puissances, l’Allemagne nazie et l’Empire du Japon. Le 6 juin 1944 en aura décidé autrement, reléguant la question d’une victoire hitlérienne au rang des grandes uchronies.
Trois quarts de siècle après le débarquement, Donald Trump et Emmanuel Macron se sont recueillis au cimetière américain de Colleville-sur-Mer afin de saluer la mémoire des plus de 4400 soldats tombés sur les côtes normandes. Lorsque adolescent j’avais visité ce mémorial, j’avais été saisi par l’idée que derrière chaque tombe se cache une histoire. Car c’est bien l’addition des 156 000 hommes envoyés en France pour ouvrir une première brèche qui fit de «Neptune» une réussite collective.
Célébrer les anonymes
A sa sortie en 1998, Il faut sauver le soldat Ryan m’était apparu comme un film déplacé, car mettant en scène des soldats partant en mission pour sauver un seul homme plutôt que de participer à l’effort collectif d’«Overlord». Quelques années plus tard, j’avais réévalué le film de Steven Spielberg, y voyant au contraire un récit humaniste rendant hommage aux anonymes de la guerre, avec l’idée qu’aucune vie ne conte moins qu’une autre. Anonymes que célèbre aujourd’hui l’historien et écrivain anglais Giles Milton dans D-Day: les soldats du débarquement.
Magnifiquement documenté, son essai raconte une foultitude de ces petites histoires qui ont fait la grande. Dont celle d’Eva Eiffer, «une jeune recrue allemande, envoyée en France à son corps défendant», qui au soir du 5 juin 1944 aura été la première à réceptionner des messages en morse annonçant l’imminence de l’«Invasionstag» tant redouté. Milton s’intéresse ensuite aux soldats des deux camps, mais aussi aux civils et résistants français, livrant à l’instar de Spielberg un récit humain dans un contexte inhumain.
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