Habituellement, les pays hôtes et les organisateurs s’en tiennent à un discours de paix, d’amitié et de saine compétition pour accueillir les athlètes et leur public. On affirme que le sport est roi. C’est ce qu’avait fait Vladimir Poutine à Moscou en 2018. Gianni Infantino, alors nouveau président de la FIFA, n’avait rien trouvé à redire à cette partition. Et à Doha, comme à Moscou, dès le coup de sifflet inaugural, la magie a opéré, la critique s’est effacée, les appels au boycott ont disparu. Sauf qu’à Doha, l’Italo-suisse a osé l’impensable: transformer cette Coupe du monde, l’espace d’une conférence de presse, en une retentissante tribune politique. Au service de l’Etat hôte.
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Dans un prêche politique qui fera date, ce nouvel ambassadeur de l’émirat dénonçait l’«hypocrisie occidentale», décrite comme un mélange de droits-de-l’hommisme et d’affairisme. Pour faire taire ses contempteurs, il a eu cette formule: «Pour ce que nous, les Européens, avons fait au cours des 3000 dernières années, nous devrions nous excuser les 3000 prochaines années avant de donner des leçons de morale aux autres». Pourquoi 3000 ans? Nul ne sait. Mais tout le monde aura compris, hors d’Europe, qu’il évoquait la domination, la colonisation et l’humiliation associées à ce continent ces derniers siècles. Dans un double dévoilement, il mettait aussi fin à l’hypocrisie de son propre rôle en s’affichant en tant qu’acteur politique qui n’a plus rien de neutre.
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Acter la marginalisation de l’Europe
A la veille du coup d’envoi de cette 22e Coupe du monde, le président de la FIFA se faisait ainsi le relais d’un discours victimaire et revanchard qui nourrit une idéologie anti-occidentale portée par de nombreux gouvernements le plus souvent autoritaires, au nom de la défense du ballon rond. Il pouvait le faire, car il a aujourd’hui derrière lui une large majorité d’électeurs au sein de la FIFA et des opinions publiques mondiales labourées par des propagandes d’Etat qui font leur chemin. C’est une nouvelle réalité, celle d’une Europe marginalisée. Gianni Infantino n’a fait que l’acter, en semblant avoir choisi son camp.
Un mois plus tard, quel bilan tirer de ce Mondial? Les 32 équipes, et leurs fans, se sont «concentrées sur le football» comme appelait à le faire Gianni Infantino, sans qu’il soit «entraîné dans des batailles idéologiques ou politiques». Tout juste a-t-on appris, cette dernière semaine, qu’une vice-présidente du Parlement européen aurait été financée par le Qatar pour tenir des propos devant ses pairs de Strasbourg presque identiques à ceux du Valaisan lors de sa conférence de presse. Scandale? Qui s’en souciera hors d’Europe? Il faut donc souligner la réussite du Qatar. Et saluer le service rendu par le président de la FIFA: après Doha, on ne pourra plus dire qu’une Coupe du monde n’est pas d’abord politique.
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