Le son des baffes
Scanner
Nos sens sont intimement interconnectés par notre cerveau de façon à nous donner une perception intégrée de l’environnement. La gestuelle du chef d’orchestre, l’érotisme de la harpiste enrobent la musique captée par nos oreilles et la rendent plus belle à notre cerveau. Cette conclusion est déprimante, et pas seulement pour les musicologues…
Nos sens sont intimement interconnectés par notre cerveau de façon à nous donner une perception intégrée de l’environnement; un paysage de montagne sera embelli par les cris des marmottes et le parfum des nigritelles, alors que le même décor, associé à l’odeur des saucisses et aux bruits d’un stand de tir, nous semblera trivial.
Chia-Jung Tsay à Londres, psychologue et pianiste aguerrie, suggère qu’il en est de même pour la musique. Après avoir recruté plus de mille volontaires, experts ou novices en répertoire classique, elle leur projette les vidéos des finalistes de grands concours de virtuoses, avec ou sans la bande sonore. Les participants doivent ensuite deviner les classements de ces concours (PNAS, août 2013).
Les résultats sont surprenants. En effet, les volontaires experts ou novices ayant eu le son et l’image sont incapables d’identifier les vainqueurs. En revanche, les deux groupes trouvent le bon classement lorsque le son est coupé, se basant donc uniquement sur l’image. La doctoresse Tsay conclut que l’impression visuelle prime sur la perception sonore. La gestuelle du chef d’orchestre, l’érotisme de la harpiste enrobent la musique captée par nos oreilles et la rendent plus belle à notre cerveau.
Cette conclusion est déprimante, et pas seulement pour les musicologues. Elle reflète une fois encore la primauté de la forme sur le fond, des apparences sur les contenus; serions-nous donc incapables de juger de la qualité objective d’une perception sensorielle? Les cheveux longs et les yeux mi-clos d’un pianiste romantique, les déhanchements arthritiques de Mick Jagger? Quel bon concert! Nous n’avons pas besoin de publicitaires pour être trompés, notre cerveau s’en charge. Alors fermons les yeux, écoutons Maria Callas chanter Norma et oublions la science.
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Dans le genre petite musique de nuit, la revue Science du 28 juin 2013 publie une étude comparative concernant les violences faites aux femmes par leurs conjoints dans 81 pays du globe. Là où certaines contrées ont des performances encourageantes, comme l’Asie du Sud et l’Afrique du Nord, où 35% des femmes sont battues, l’Europe de l’Ouest est une fois de plus à la traîne avec un maigre 20%. Ce n’est pas avec 80% de mollassons que l’Europe va se relever. En attendant le réveil du mâle (au cas où, voir le site «Stop violences à la maison», www.ge.ch/violences ou tél. 0848 110 110), fermons les yeux, écoutons Oum Kalsoum chanter «Nuit d’amour» et oublions le monde.
* Professeur de génétiqueà l’Université de Genèveet à l’EPF de Lausanne
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