Boycotter l’accord US
Chronique
Plus le moment approche d’y souscrire ou non, plus les banquiers doutent de l’accord de régularisation des banques suisses avec le fisc américain
«On peut vivre avec!» s’était exclamée Mme Widmer-Schlumpf, après avoir signé l’accord de régularisation des banques suisses avec le fisc américain. Plus le moment approche d’y souscrire ou non, plus les banquiers en doutent. Certains sont même sûrs d’y laisser la vie et non pas seulement quelques plumes, comme semblait le prétendre la conseillère fédérale avec un aplomb frisant le mépris. Malheureusement, les établissements bancaires n’ont pas su, jusqu’ici, faire front commun ni parler d’une seule voix.
Il faut dire que leurs intérêts sont disparates. Sans les gérants de fortune indépendants, la place financière est composée de 147 établissements: les deux géants gèrent près de 53% de la masse sous gestion, les quatorze grands encore 29%, ce qui laisse 18% aux 131 moyennes et petites banques restantes (chiffres de 2009). Les grandes sont exclues du programme parce que déjà dans le collimateur de la justice américaine. Ce sont donc les autres qui ont tout à perdre dans l’aventure, alors qu’elles se sont moins mal conduites: elles ne sont pas allées démarcher les clients américains sur place, ni ne les ont incités à la fraude ici. Pourtant, les amendes auxquelles elles seront soumises seront infiniment plus lourdes que celles des premières, contre toute logique et toute justice. Que peuvent-elles faire?
Se dénoncer, c’est acheter très cher une sécurité juridique illusoire. En effet, les Etats-Unis n’ont pas tout dit sur les conditions de l’accord, et c’est en demandant des précisions que les intéressées découvrent l’étendue des exigences qui leur seront faites. Il faut croire que les négociateurs suisses se sont fait rouler dans la farine, eux qui affirmaient que les petites banques locales pourraient s’en tirer sans audit ni amende. Au contraire, il apparaît maintenant que tous les établissements doivent se dénoncer, poussés par la Finma qui joue un bien vilain rôle dans cette affaire…
Ne pas se dénoncer, c’est un moindre risque, même s’il comporte une part d’inconnu. En effet, la Suisse a fourni aux Américains une telle somme d’informations qu’ils pourront remonter jusqu’à tel ou tel client indélicat, et accuser une banque d’avoir couvert un fraudeur. Mais l’établissement subira-t-il alors un sort plus amer qu’en ayant signé l’accord? Non, car il s’exposera à des pénalités proportionnées à la faute (8e amendement de la Constitution américaine), et non pas léonines comme celles que stipule l’accord qui, faut-il le rappeler, taxe l’entier des fonds américains sous gestion, qu’ils aient été ou non déclarés au fisc. Enfin, ce sera à la justice américaine de monter le dossier d’accusation au lieu de s’y consacrer soi-même, en payant grassement des auditeurs pour se livrer pieds et poings liés.
Dès lors, une seule solution s’impose: un boycott pur et simple de l’accord par les banques moyennes et petites, qui doivent s’entendre rapidement pour refuser en bloc d’entrer dans la procédure. Le peuple leur saurait gré de ce courage et elles regagneraient ainsi, d’un coup d’un seul, tout le crédit qu’elles ont perdu durant la crise. En auront-elles le culot et la fierté?
mh.miauton@bluewin.ch
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