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Camus remixé par Abd Al Malik

L’auteur et slameur français met en scène, au Théâtre du Châtelet, «Les Justes». Ou comment évoquer les révolutions d’hier pour parler des combats d’aujourd’hui

Abd Al Malik, Paris, 19 septembre 2019. — © Eddy Mottaz/Le Temps
Abd Al Malik, Paris, 19 septembre 2019. — © Eddy Mottaz/Le Temps

Il y a des tentes, des feux de joie, des slogans scandés et des barricades improvisées. Il y a aussi un terrain de volley à même le bitume, des couvertures et de la paille et, dans un coin, une pyramide de papier de toilette. La place du Châtelet ressemble à un grand camping sauvage. En une année d’existence, le mouvement de désobéissance civile Extinction Rebellion a multiplié – à Paris comme à Lausanne – les actions chocs. Voici qu’il occupe une place centrale de la capitale française. Pour que le gouvernement déclare l’urgence climatique, que des mesures soient prises maintenant car demain il sera trop tard – refrain connu mais pas assez entendu.

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Depuis une semaine, à quelques mètres de ces activistes pacifistes, le Théâtre du Châtelet accueille une nouvelle mise en scène des Justes. Ce texte d’Albert Camus évoque, dans la Russie de 1905, l’action d’une cellule des combattants socialistes révolutionnaires fomentant l’assassinat du grand-duc Serge Alexandrovitch, au nom du peuple et de sa liberté. Fraîchement accueillie lors sa création il y a septante ans, la pièce résonne en 2019 avec l’actualité. Elle parle de résistance, de l’usage de la violence et des questions morales qu’elle soulève. Ses personnages se demandent si la fin justifie les moyens, si le totalitarisme exige le terrorisme.

Spectacle musical et théâtral

Cette nouvelle version des Justes est signée Abd Al Malik. L’histoire évoque pour lui la fin d’un idéal. Afin d’asseoir sa contemporanéité, l’auteur et slameur a fait appel à des comédiens d’origines diverses. On y voit Sabrina Ouazani, d’origine algérienne, Frédéric Chau, le beau-fils chinois de Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu?, ou encore Marc Zinga, un Belge né au Congo.

Abd Al Malik est allé plus loin: il a créé un chœur, dans la tradition du théâtre grec antique. Ils sont dix, des garçons et des filles de banlieue, et apparaissent à la fin de chaque acte non pour commenter l’action, mais pour parler de leur vision du monde. Ils parlent de leur grand-duc, d’un ennemi qui ressemble pour eux aux multinationales ou au terrorisme religieux. Avec son frère Bilal, Abd Al Malik a composé une bande-son jouée en direct et qui sous-tend l’entier du spectacle. Celui-ci, qui propose un dispositif scénique audacieux aménagé sur trois niveaux, telle une maison de poupée, s’avère dès lors aussi musical que théâtral. Les répliques sont comme scandées.

Reportage en coulisses: Abd Al Malik revisite Camus entre rap et tragédie pour parler à la France d’aujourd’hui

En fin de représentation, le soir où j’ai découvert cette mise en scène stimulante bien que parfois pesante, deux membres d’Extinction Rebellion ont été invités à monter sur scène. Je me suis alors dit que Camus aurait adoré voir son texte ainsi remixé et devenir si furieusement moderne.

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