Le Festival de Cannes retrouve sa case printanière pour une 75e édition qui se déroule du 17 au 28 mai. Tous les jours en fin de journée, retrouvez la chronique quotidienne de notre envoyé spécial.

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S’il y a bien un endroit où on ne pensait pas rencontrer Annie Ernaux, c’est bien le Festival de Cannes. L’écrivaine française est connue pour une œuvre magistrale dans laquelle elle n’a de cesse depuis le début des années 1970 d’interroger la mémoire et le travail d’écriture à l’aune de sa vie, pour livrer des textes qui parlent d’elle mais aussi de nous et du monde. Or voici qu’à 81 ans, elle est venue présenter à la Quinzaine des réalisateurs Les Années super 8, un film qu’elle cosigne avec son fils, David Ernaux-Briot. Le duo est en lice pour la Caméra d’or, récompense qui salue le meilleur premier film sélectionné par le festival, toutes catégories confondues.

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Les Années super 8 est né d’une idée très simple de David Ernaux-Briot: et si je demandais à ma mère d’écrire un texte qui pourrait accompagner les images filmées en super-huit – et donc muettes – par mon père dans les années 1970? «A l’origine, il y avait un désir d’un de mes enfants de voir son grand-père, mort avant sa naissance», raconte le fils de l’écrivaine, rencontré avec Annie Ernaux au lendemain de la première du film. «J’ai alors filmé en vidéo ces bandes super-huit en y ajoutant un commentaire, et me suis rendu compte qu’il y avait quelque chose qui nous dépassait, avec une vraie dimension cinématographique.» L’envie est ainsi venue de demander à sa mère d’écrire un texte, «car c’est elle qui porte la mémoire de la famille». Pendant le confinement, celle pour qui l’écriture est un travail solitaire – «je ne pourrais pas faire de cinéma, car je ne peux pas travailler avec les autres», rigole-t-elle – a enregistré chez elle un texte d’une heure en lecture continue.

«J’ai livré quelque chose qui n’était pas éclairci»

«Comme la narration cinématographique est différente de la narration littéraire, j’ai dû couper ce texte et le mettre en rapport avec les bonnes images afin de trouver un rythme, une respiration, expose David Ernaux-Briot. Il ne fallait pas être littéral, par exemple quand on décrit un paysage qu’on voit à l’écran. Mais la grande vertu d’être le fils d’Annie, c’est que je connais bien son écriture et sa vision du monde. Je savais quels points saillants il fallait absolument garder.» Pour le spectateur, découvrir les films super-huit de la famille Ernaux a quelque chose de fascinant, puisqu’on y découvre, en marge des nombreux voyages effectués par Annie et Philippe, qui divorceront au début des années 1980, la naissance d’une écrivaine. L’achat d’une caméra par son ex-mari coïncide en effet avec l’écriture en cachette des Armoires vides, son premier livre, qui sera publié en 1974.

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«En écrivant le texte, j’ai en effet prix conscience que je donnais un éclairage sur mes débuts d’écrivaine, avoue Annie Ernaux. D’ailleurs, à cette époque je ne m’appelais pas encore écrivaine. J’écris un livre, j’en écris un deuxième, puis un troisième, mais je suis d’abord une professeure. Ces premiers livres sont tous liés à des moments filmés: pour Les Armoires vides, ce sera notre voyage au Chili, pour Ce qu’ils disent ou rien (1977), dont je ne parle pas dans le film, c’est l’Angleterre; La Femme gelée (1981) sera ensuite le livre qui mène à la rupture et à une autre période, avec une autre forme d’écriture pour La Place.» Cet ouvrage qui sortira en 1983 recevra l’année suivante le Prix Renaudot, première reconnaissance officielle pour une autrice souvent citée pour un Prix Nobel de littérature. «A partir des images, j’ai livré quelque chose qui n’était pas éclairci.»

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