La longue enquête qu’a publiée cette semaine Le Temps sur la compagnie de danse genevoise Alias est accablante. Plusieurs témoins et victimes affirment que pendant des années son directeur aurait profité de son statut de chorégraphe star pour abuser de danseuses à l’issue d’auditions se terminant régulièrement à son domicile. Attouchements, massages, obsession de la nudité: ce professionnel reconnu à l’international et largement soutenu par les pouvoirs publics est accablé par une multitude de témoignages concordants. En août dernier, il a d’ailleurs été condamné à 5 mois de prison avec sursis et 5000 francs de tort moral pour «acte d’ordre sexuel sur personne incapable de résistance».

Notre enquête: Des danseuses de la compagnie Alias dénoncent des années d’abus sexuels

Ces révélations suivent de quelques petits mois celles faites autour du Béjart Ballet Lausanne (BBL) et de l’Ecole-Atelier Rudra Béjart. Pas d’abus sexuels dans ce cas, mais des accusations de harcèlement psychologique et d'humiliations publiques. Ces deux affaires sont-elles les arbres qui cachent la forêt? Impossible de ne pas oser la question, tant il est notoire que le milieu de la danse, comme d’ailleurs celui de la gymnastique – sous le coup d’une enquête menée par Swiss Olympic pour de graves problèmes de violences physiques et psychologiques –, est ultra-compétitif et extrêmement exigeant. Un terreau fertile pour les dérives.

Des audits à Lausanne et Genève

A Lausanne, un audit – le deuxième en treize ans – a été lancé pour décrypter le fonctionnement du BBL et de son Ecole-Atelier. Jeudi, la Ville de Genève annonçait à son tour, en soulignant que «les témoignages rapportés par Le Temps sont glaçants et terrifiants», accueillir favorablement la demande conjointe du Syndicat suisse romand du spectacle et du collectif d’artistes Art_sainement de mener un audit. Alias et le BBL, deux sinistres exemples d’un univers dont les secrets sont enfin peu à peu révélés, et pas uniquement en Suisse. En 2018, le directeur du New York City Ballet était licencié pour cause de harcèlement sexuel et injures.

Sur l’affaire du Béjart Ballet Lausanne: Les racines du mal

Il faut aujourd’hui que les milieux culturels suisses fassent leur #MeToo, en mettant notamment les autorités subventionneuses face à leurs responsabilités. Pourquoi avoir tardé à réagir alors que, semble-t-il, elles étaient, à Genève, au courant de rumeurs insistantes, voire de dénonciations directes? Même si l’on sait bien qu’il est pour les victimes douloureux de s’exprimer, il est important, au moment où les nouvelles générations doivent rompre avec des modèles autoritaires et patriarcaux restés trop longtemps peu contestés, que la parole se libère. Aucune affaire n’est trop vieille pour être déterrée. Faire la lumière sur le passé est nécessaire pour aller vers un avenir inclusif et bienveillant.

    Hip hip hip… a-ha!La photo pour penser le monde007, une immuable combinatoireCes cher·e·s disparu·e·sDeux tours pour l’éternité

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