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Défense de l’Ukraine: un choix souverain de non-solidarité

CHRONIQUE. Au nom d’une certaine idée de la neutralité, le parlement fédéral refuse la réexportation d’armes suisses par les Européens. Une posture devenue incompréhensible et injustifiable alors que la sécurité du continent est menacée, écrit notre chroniqueur

Le parlement fédéral refuse les demandes européennes de réexportation de matériel de guerre suisse au bénéfice de la défense de l'Ukraine. Berne, image d'illustration. — © PETER KLAUNZER / KEYSTONE
Le parlement fédéral refuse les demandes européennes de réexportation de matériel de guerre suisse au bénéfice de la défense de l'Ukraine. Berne, image d'illustration. — © PETER KLAUNZER / KEYSTONE

Le parlement fédéral a torpillé cette semaine deux motions qui auraient permis d’envisager un feu vert de Berne à ses voisins pour la réexportation de matériel militaire suisse. Avec ce double refus, toute perspective de voir la Suisse approuver la demande des Etats européens de soutenir, même très indirectement, l’effort de défense de l’Ukraine est renvoyée aux calendes grecques. Comme si la Suisse vivait hors du temps et des crises qui rythment son continent. Comme si les Suisses avaient une nouvelle fois choisi de se mettre en marge de l’Histoire. Ou le privilège de la commenter depuis leur balcon.

Les parlementaires se sont retranchés derrière l’invocation de la neutralité pour réaffirmer leur voie solitaire. Mais de quelle neutralité parlent-ils? La réexportation d’armes ne relève d’aucun «droit de la neutralité» comme l’ont défendu, en trompant la population, les députés. Il n’y a pas de loi suisse de la neutralité. Il n’y a pas d’article des Conventions de La Haye sur les Etats neutres qui évoque la réexportation d’armes. Point. Berne a élaboré un discours sur la neutralité et une loi sur le matériel de guerre qui servent aujourd’hui de prétexte pour l’inaction au nom de soi-disant obligations juridiques. C’est différent.

Un prétendu «Sonderfall»

Parle-t-on alors de cette neutralité dont on affirme qu’elle assure un «rôle particulier» à la Suisse? De quoi s’agit-il? De la promotion de la paix? Quel Etat ne veut pas la promotion de la paix? En quoi la Suisse se distingue-t-elle? D’autres pays, non neutres, en font davantage en matière de négociations de paix. Des bons offices? Ils ont fondu. Et qui, aujourd’hui, veut encore y faire appel? De l’aide humanitaire? La Suisse ne s’illustre pas davantage dans ce domaine en comparaison européenne. Pense-t-on au Comité international de la Croix-Rouge? Il est neutre, certes, mais ce n’est pas un organe étatique suisse. Il siège en Suisse. A l’hébergement des organisations internationales? Ce n’est pas la neutralité qui a justifié leur installation à Genève. Il en existe dans des Etats non neutres.

Cette neutralité et ce prétendu Sonderfall helvétique cultivé par les souverainistes auraient leur justification si la Suisse s’en emparait pour lancer des initiatives en leur nom. Elle l’a fait l’été dernier, à Lugano, avant que le processus de la reconstruction de l’Ukraine lui échappe. Depuis? Plus rien. La Suisse n’évoque plus la providence comme par le passé pour expliquer qu’elle reste une île protégée au milieu des tempêtes du monde. Elle constate simplement une «chance» de sa géographie. Or, ce ne sont pas des montagnes et des fleuves qui épargnent la Suisse des vagues. Mais bien le fait d’être au cœur d’ensembles sécuritaires (OTAN) et politiques (UE) qui la protègent de facto sans devoir y participer.

Ce choix aura un prix

Restent ces questions: considère-t-on que l’Ukraine est victime d’une agression? Le Conseil fédéral le dit. S’agit-il d’une remise en question fondamentale de la sécurité du continent? Le Conseil fédéral le dit. La Suisse se situe-t-elle dans un camp? Le Conseil fédéral le dit. Est-on solidaire avec ce camp? Le Conseil fédéral le dit. Alors que tous les membres de ce camp – l’Europe démocratique – se mobilisent pour soutenir la défense, y compris militaire, de l’Ukraine, la Suisse, et elle seule, fait valoir sa partition en soliste. Même lorsque sa population – deux récents sondages sur la réexportation d’armes l’attestent – se rallie à l’idée de donner un coup de main à ses voisins, ses représentants se recroquevillent, par habitude, par calcul politique, par manque de vision ou de courage.

Au terme de cette semaine, l’Europe ne peut que constater le choix souverain de la Suisse de non-solidarité. Ce choix aura un prix.

Pour aller plus loin:


Précédente chronique:

Neutralité et réexportation d’armes: le temps d’être solidaire