Un prétendu «Sonderfall»
Parle-t-on alors de cette neutralité dont on affirme qu’elle assure un «rôle particulier» à la Suisse? De quoi s’agit-il? De la promotion de la paix? Quel Etat ne veut pas la promotion de la paix? En quoi la Suisse se distingue-t-elle? D’autres pays, non neutres, en font davantage en matière de négociations de paix. Des bons offices? Ils ont fondu. Et qui, aujourd’hui, veut encore y faire appel? De l’aide humanitaire? La Suisse ne s’illustre pas davantage dans ce domaine en comparaison européenne. Pense-t-on au Comité international de la Croix-Rouge? Il est neutre, certes, mais ce n’est pas un organe étatique suisse. Il siège en Suisse. A l’hébergement des organisations internationales? Ce n’est pas la neutralité qui a justifié leur installation à Genève. Il en existe dans des Etats non neutres.
Cette neutralité et ce prétendu Sonderfall helvétique cultivé par les souverainistes auraient leur justification si la Suisse s’en emparait pour lancer des initiatives en leur nom. Elle l’a fait l’été dernier, à Lugano, avant que le processus de la reconstruction de l’Ukraine lui échappe. Depuis? Plus rien. La Suisse n’évoque plus la providence comme par le passé pour expliquer qu’elle reste une île protégée au milieu des tempêtes du monde. Elle constate simplement une «chance» de sa géographie. Or, ce ne sont pas des montagnes et des fleuves qui épargnent la Suisse des vagues. Mais bien le fait d’être au cœur d’ensembles sécuritaires (OTAN) et politiques (UE) qui la protègent de facto sans devoir y participer.
Ce choix aura un prix
Restent ces questions: considère-t-on que l’Ukraine est victime d’une agression? Le Conseil fédéral le dit. S’agit-il d’une remise en question fondamentale de la sécurité du continent? Le Conseil fédéral le dit. La Suisse se situe-t-elle dans un camp? Le Conseil fédéral le dit. Est-on solidaire avec ce camp? Le Conseil fédéral le dit. Alors que tous les membres de ce camp – l’Europe démocratique – se mobilisent pour soutenir la défense, y compris militaire, de l’Ukraine, la Suisse, et elle seule, fait valoir sa partition en soliste. Même lorsque sa population – deux récents sondages sur la réexportation d’armes l’attestent – se rallie à l’idée de donner un coup de main à ses voisins, ses représentants se recroquevillent, par habitude, par calcul politique, par manque de vision ou de courage.
Au terme de cette semaine, l’Europe ne peut que constater le choix souverain de la Suisse de non-solidarité. Ce choix aura un prix.
Pour aller plus loin:
- L’historien Sacha Zala: «Après 1945, la neutralité acquiert en Suisse un statut quasi religieux»
- Livraison d’armes et de munitions: que disent vraiment le droit suisse et la neutralité?
- Les bons offices, une particularité suisse?
Précédente chronique:
Neutralité et réexportation d’armes: le temps d’être solidaire