Alors qu’elle était largement ignorée il y a une dizaine d’années, la question de la protection des données sur le lieu de travail est devenue un sujet juridique central. Il faut dire que les nombreuses informations que détiennent les employeurs sur leurs employés, conjuguées au développement fulgurant des moyens techniques, en particulier de l’informatique, exposent les personnes employées à des atteintes importantes à leur personnalité.

La loi fédérale sur la protection des données (LPD) contient les principales normes applicables. Une version entièrement révisée de la loi entrera en vigueur le 1er septembre de cette année. Cette profonde révision a notamment pour but de rapprocher le droit suisse du règlement européen sur la protection des données (RGPD) et d’étendre les obligations d’information.

Des données qui portent sur les aptitudes du travailleur à l’emploi

En matière de droit du travail, la LPD est complétée par l’art. 328b du Code des obligations (CO), selon lequel l’employeur «ne peut traiter des données concernant le travailleur que dans la mesure où ces données portent sur les aptitudes du travailleur à remplir son emploi ou sont nécessaires à l’exécution du contrat de travail». Ainsi, l’employeur peut traiter des données qui sont nécessaires pour déterminer si le travailleur dispose des capacités professionnelles et personnelles objectivement requises pour remplir son emploi (cursus scolaire et professionnel, diplômes et certificats de travail, connaissances linguistiques, autorisations d’exercer ou de travail, etc.).

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L’employeur peut aussi traiter de toutes les données dont il a besoin pour satisfaire à ses obligations légales ou contractuelles (état civil, date de naissance, nationalité, numéro AVS, domicile, enfants, références bancaires, etc.).

En pratique, le traitement des données par l’employeur soulève de nombreuses questions d’appréciation car les dispositions légales sont très générales. Les cas d’application sont innombrables! Quelles sont les questions qui peuvent être légitimement posées lors d’un entretien d’embauche? Lorsqu’un candidat à l’embauche n’a pas été retenu, l’employeur doit-il lui restituer son dossier de candidature? Dans quelles conditions l’employeur peut-il traiter de données sensibles d’un employé, tel son état de santé? L’employeur doit-il régulièrement mettre à jour les données de ses employés? Quelles sont les règles qui définissent le droit d’un employé de consulter son dossier? L’employeur a-t-il le droit de surveiller ses employés avec des moyens techniques spécifiques? Comment traiter les données dans le cadre d’une enquête interne? Après la fin du contrat de travail, l’employeur doit-il détruire immédiatement les données de son ex-employé?

Un cas de courriels intimes produits en justice

Il n’est guère possible de répondre de manière catégorique à ces questions. Chaque cas doit être apprécié en fonction de ses caractéristiques propres. Il n’est dès lors plus rare de voir des litiges devant les tribunaux qui portent sur les modalités du traitement des données sur le lieu de travail.

En 2021, le Tribunal fédéral a par exemple examiné le cas d’une employeuse qui avait produit en justice des courriels intimes à caractère sexuel que l’employé avait échangés via sa messagerie électronique professionnelle avec une collègue intimement liée avec lui, ainsi que des extraits de conversations WhatsApp privées entre l’employé et ses proches ou des collègues, qui avaient été récupérées sur le téléphone portable mis à sa disposition. Notre haute cour a considéré que l’employeuse avait violé l’art. 328b CO car il existait d’autres moyens d’investigation moins intrusifs (auditions de témoins) permettant d’atteindre le but recherché (récolte de preuves en prévision d’un procès portant sur la fin des rapports de travail et l’existence d’heures supplémentaires). L’employeuse a été condamnée à payer à l’employé une indemnité pour tort moral d’un montant de 5000 francs (arrêt 4A_518/2020 du 25 août 2021).

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