Plus de quatorze ans après la faillite retentissante de la société de Bernard Madoff, Bernard L. Madoff Investment Securities LLC (BLMIS), et près de deux ans après le décès de son animateur, le dossier Madoff repart de plus belle en Suisse. Ainsi, le trustee de BLMIS et les liquidateurs de son principal fonds nourricier (feeder), Fairfield Sentry (Fairfield), ont repris l’offensive à l’encontre de dizaines d’établissements bancaires, dont de nombreuses banques suisses. Le but de ces actions est de récupérer les paiements reçus de BLIMS et/ou de Fairfield par ces banques dans les années ayant précédé la faillite de Bernard Madoff.

Le fondement de ces actions est similaire aux actions dites «révocatoires» que connaît le droit de la faillite suisse. Leur portée est en revanche bien plus grande puisqu’elles couvrent tous les paiements intervenus dans les six ans ayant précédé la faillite de BLMIS (respectivement la liquidation de Fairfield). Par ailleurs, le droit américain permet d’agir tant contre les récipiendaires directs qu’indirects (désignés subséquent ou indirect transferees) de ces paiements. Les montants en jeu sont énormes, les paiements intervenus représentant au total plusieurs milliards de dollars.

Banques privées attaquées

La situation est particulièrement délicate pour de nombreuses banques privées suisses. Celles-ci étaient en effet généralement inscrites comme actionnaires des feeders Madoff, position qu’elles détenaient pour le compte de leurs clients. A ce titre, ces banques ont reçu les paiements aujourd’hui contestés et se trouvent attaquées par le trustee de BLMIS et/ou les liquidateurs de Fairfield qui leur réclament la restitution de ces sommes.

Selon les institutions concernées, les enjeux financiers se chiffrent en dizaines, voire en centaines de millions de dollars, sans compter les frais légaux que la défense de ces actions implique. Dans un certain nombre, on assiste à un cumul de demandes portant sur les mêmes rachats émanant tant du trustee de BLMIS que des liquidateurs de Fairfield!

Lire aussi: Bernard Madoff, escroc devant l’éternel

Là où le bât blesse est que le recours des banques contre les clients ayant bénéficié de ces paiements est en pratique limité au vu des années écoulées, bon nombre d’entre eux ayant vidé ou clôturé leurs comptes dans l’intervalle.

Processus invasif et coûteux

Les représentants de BLMIS et de Fairfield ont entrepris leurs actions devant les tribunaux de l’Etat de New York, lieu où s’est ouverte la faillite de BLMIS. Après avoir végété pendant de nombreuses années vu le grand nombre des parties impliquées, la complexité du dossier et les incidents de procédure soulevés, ces actions ont récemment repris, à la suite notamment du changement du juge chargé de ces procédures.

Pour un certain nombre de banques s’ouvre maintenant une phase délicate, dite «de pre-trial discovery», soit un processus typiquement anglo-saxon – extrêmement invasif et coûteux – qui implique pour les établissements concernés la remise d’un grand volume d’informations et de documents (y compris les e-mails) couvrant une période remontant au début des années 2000.

Lire aussi: L’homme qui pourchasse le fantôme de Madoff

Dans ce contexte, les plaignants américains, qui sont dotés de moyens financiers très importants et agissent dans une juridiction qui leur est familière, sont en position de force. Pour les banques suisses actionnées [contre lesquelles portent ces actions, ndlr], les chausse-trappes juridiques sont en revanche nombreuses.

Coopération avec une autorité étrangère

Tout d’abord, le droit suisse – en particulier l’art. 271 du Code pénal – limite étroitement la coopération que peut offrir la partie actionnée dans une procédure judiciaire étrangère. Ceci implique d’une manière générale que les déclarations des témoins, domiciliés en Suisse et cités dans la procédure, soient recueillies non pas directement par les parties ou le tribunal étranger, mais exclusivement par le biais des canaux de l’entraide internationale (soit la Convention de la Haye de 1970 sur l’obtention des preuves à l’étranger en matière civile ou commerciale).

Dans ces procédures, la remise d’informations demandées à une banque en Suisse pourra par ailleurs être problématique, car sujette aux secrets bancaire et d’affaires, de même qu’à la législation en matière de protection des données (LPD).

Ceci va restreindre, selon les cas, la possibilité pour les banques suisses de produire les noms de leurs clients, de leurs employés ou ex-employés, et entravera d’autant leur défense. Dans certains cas, cela amènera les banques concernées à procéder à un caviardage extensif de la documentation à produire. En pratique, la complexité du processus et le volume de la documentation concernée impliqueront souvent le recours à des consultants et logiciels spécialisés.

Comme indiqué, ces procédures n’en sont qu’à leurs débuts, malgré le temps déjà écoulé. On doit dès lors s’attendre à ce que ces actions occupent les banques suisses pour les années à venir. Pour nombre d’entre elles, qui sont récemment sorties à grands frais de leurs démêlés fiscaux avec les Etats-Unis, la pilule est amère.

Le Temps publie des chroniques et des tribunes – ces dernières sont proposées à des personnalités ou sollicitées par elles. Qu’elles soient écrites par des membres de sa rédaction s’exprimant en leur nom propre ou par des personnes extérieures, ces opinions reflètent le point de vue de leurs autrices et auteurs. Elles ne représentent nullement la position du titre.