On n’arrête pas le progrès. C’est comme ça, c’est la règle, apparemment immuable en toutes choses. Il faut que ça progresse, d’une manière ou d’une autre. Quand on fait bien, il faut faire mieux, quand on fait assez, il faut faire plus. Améliorer, s’améliorer, augmenter, s’augmenter, avancer. Parce que sinon, on tombe, comme à vélo. Le vélo déteste le statu quo, et nous aussi.

Il y a pourtant un gros malentendu autour du progrès, au sens dynamique du terme. Ce principe moteur général, empoigné par les philosophes depuis toujours, embarque trop de vents contraires dans sa marche forcée pour qu’il en soit autrement. Le progrès nous séduit tant que nous en percevons les bénéfices, mais au-delà, ses actions décrochent. Il nous est doux quand nous le voyons à l’œuvre chez un enfant qui apprend, il nous est hostile quand il va pomper du gaz de schiste en rase campagne.

Mais allons quelque part!

Cette tension nous dit une chose toute simple, qui aurait pu nous servir de vade-mecum depuis longtemps si nous n’étions pas collectivement lents à la détente: puisque nous sommes obligés d’avancer, allons quelque part.

Pour Elon Musk, par exemple, ce sera sur Mars. Il pense que notre espèce mérite mieux que d’être bêtement monoplanétaire. Je ne suis pas persuadé qu’il ait choisi la meilleure direction, mais au moins il y va, lui, en Tesla et sous acide. Je dis bravo, et bon voyage.

Tout le monde ne roulant pas en navette spatiale, d’autres petits vélos de la modernité commencent malheureusement à tourner sérieusement en rond beaucoup plus près d’ici. En cette entame de juin, c’est sous le soleil de Roland-Garros que le progrès nous propose ce qu’il a de plus vain et de plus vilain quand il n’est pas cornaqué. Au terme d’une chaîne de causalité qui, cette fois, a tout d’une anti-marche à suivre. Observons.

Vu de mon canapé…

Il y a quelques années et loin de Paris, les tournois du Grand Chelem ont décidé d’éclairer et de couvrir leur court central. Pour pouvoir jouer la nuit ou quand il pleut. Indépendamment des objectifs mercantiles de l’opération, c’était plutôt une bonne idée, vu de mon canapé. Et puis Paris a dû s’y mettre, ce qui était toujours une bonne idée, vu de mon canapé.

Mais le statu quo étant impossible, le surplus d’ocre en prime time a aiguisé de nouveaux appétits déboussolés. Et France Télévisions a perdu les droits sur les sessions de nuit. Au profit d’Amazon, et au détriment de mon canapé. Ce soir, je ne verrai pas jouer Nadal sous le plateau de Laurent Luyat. J’avais déjà perdu Jean-Paul Loth et Lionel Chamoulaud, cette fois je perds le tournoi. Mon tournoi. Sous les spotlights, il a disparu. Le petit vélo a déraillé.

On n’arrête pas le progrès, je viens de vous le dire. Mais éclairer le monde pour ne plus le voir, c’était vraiment indispensable?


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