Si Elon Musk a raison, alors il a tort
Du bout du lac
AbonnéCHRONIQUE. Qu’attendre de Neuralink, le dernier projet du mégalomane Musk? Notre chroniqueur Alexis Favre a sa petite idée, copernicienne

Elon Musk est un génie. Un génie du Bien, un génie du Mal? Vous avez certainement déjà forgé votre conviction, et ce n’est pas forcément la question la plus déterminante. Elle finira de toute façon par trouver une réponse.
Après avoir électrifié la mobilité individuelle («hydrogen is stupid»), offert un service de navette pour l’espace, déployé des constellations de satellites et racheté Twitter, le milliardaire s’apprête, entre autres choses, à implanter les humains. C’est-à-dire nous, je crois. Pour les étoiles, il y a Starlink, pour les neurones, il y aura Neuralink. Une petite puce sur laquelle sont désormais priées de plancher les autorités sanitaires, avant d’autoriser Elon Musk à doper électroniquement l’espèce.
We are now confident that the Neuralink device is ready for humans, so timing is a function of working through the FDA approval process
— Elon Musk (@elonmusk) 1 décembre 2022
L’idée de Neuralink est toute bête: réparer ceux qui ont besoin de l’être en leur permettant de contrôler leur environnement par la pensée, et améliorer tout le monde, pour nous permettre de lutter à armes égales contre l’intelligence artificielle et ses promesses exponentielles.
L’homme augmenté de Musk, dûment «neuralinké», aura donc physiquement intégré de la technologie pour s’adapter au progrès technologique. Je n’ai pas besoin de vous dire que le projet mérite qu’on s’y intéresse et pose quelques questions d’ordre relativement existentiel.
(Soit dit en passant, ces questions mériteraient déjà d’être posées à d’autres. Apple, par exemple, qui n’a pas eu besoin de se glisser sous notre peau pour modifier nos gènes: nos pouces et ceux des générations futures sont et seront de plus en plus longs, agiles et musclés. Et le phénomène n’intéresse personne, ou presque, mais c’était une parenthèse).
Une erreur coupable
Si Elon Musk a raison, alors il a tort. Admettons, comme lui, que l’intelligence artificielle finisse par s’avérer capable de tout. Y compris et surtout d’être réellement meilleure que son inspiration biologique, toujours nous. Dans cette hypothèse, la laisser nous pénétrer – ou pire, lui faciliter le travail – est une erreur coupable.
Lire aussi: L’agenda pas si caché que ça d’Elon Musk
Dans un monde artificiellement intelligent, artificiellement plus intelligent que nous, artificiellement incollable, omniscient et omnipotent, il y a une meilleure voie à suivre. Celle du court-circuit. Celle que les machines, qui manquent encore de poésie, appelleront de la bêtise naturelle.
C’est parce que nous connaissons nos limites que nous les transgressons. Si nous n’en avons plus, nous ne valons plus rien. Voilà bien notre seul moteur: nous sommes bons parce que nous sommes mauvais. Une réalité tragique, absurde et magnifique. Apprenons à l’aimer, comme Sisyphe aime son rocher.
Qui sait, le Deus ex machina n’est peut-être pas celui que l’on croit.
Chronique précédente: La plus humaine de toutes les Coupes du monde
Le Temps publie des chroniques et des tribunes – ces dernières sont proposées à des personnalités ou sollicitées par elles. Qu’elles soient écrites par des membres de sa rédaction s’exprimant en leur nom propre ou par des personnes extérieures, ces opinions reflètent le point de vue de leurs autrices et auteurs. Elles ne représentent nullement la position du titre.