Mardi dernier, comme le reste du monde, j’apprenais la nouvelle: l’avion transportant Emiliano Sala, attaquant argentin en route pour son nouveau club de Cardiff, avait disparu des radars la veille au soir. Evaporé au-dessus de la Manche. Très probablement échoué en dessous.

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Le football? Bof. Je ne comprends rien au business des transferts et, pour être honnête, je n’avais jamais entendu parler d’Emiliano Sala. Et pourtant. Dès les premières informations sur sa disparition, j’ai écumé Google à la recherche de détails sur ce vol. Et je ne me suis pas privée, le lendemain, de lire «le dernier message glaçant d’Emiliano Sala à ses proches». Avec un certain frisson de satisfaction.

On l’a tous déjà ressentie, cette curiosité malsaine. Celle qui nous scotche devant un reportage sur l’Ordre du Temple solaire ou qui propulse des faits divers, comme le décès de six Suisses sur une route de Suède, dans le top de nos articles les plus lus. Sans parler de ces tours organisés à La Nouvelle-Orléans sur les traces de l’ouragan Katrina

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Personnellement, j’ai beau aimer les films d’horreur, je ne me considère pas comme quelqu’un de particulièrement dark. Alors pourquoi ce besoin irrépressible de tourner la tête sur l’autoroute au moment de dépasser des tôles froissées?

En faisant quelques recherches, je suis tombée sur le livre d’un certain Eric G. Wilson, Everyone Loves a Good Train Wreck (2013). «Tout le monde aime un bon accident de train.» Ou un crash de n’importe quoi, en fait. En le feuilletant, j’ai compris que de nombreux écrivains et philosophes avaient réfléchi à la question avant moi. A commencer par Kant – non, le voyeurisme morbide ne date pas de Faites entrer l’accusé.

L’orage, mais de loin

Sa théorie? Le danger nous excite, surtout quand on le côtoie de près en sachant qu’on ne craint rien nous-même. «Je pourrais moi aussi être la victime de ce tueur en série», l’idée suffit à nous faire vibrer. On n’apprécie jamais mieux l’orage que derrière un double vitrage. Un siècle plus tard, Carl Jung poursuit le raisonnement: nous possédons tous un côté sombre, un attrait profond pour la destruction. Etre témoin d’une forme de violence nous permet d’assouvir ces pulsions plutôt que de les exprimer en nuisant à autrui.

La Schadenfreude, catharsis salvatrice? Et réalisation nécessaire, note le livre. Car voir la mort frapper l’autre, c’est aussi prendre conscience de sa propre mortalité, se recentrer sur l’essentiel.

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Je cherche peut-être à me trouver des excuses. Mais puisqu’elle est immuable et inoffensive, mieux vaut accepter notre part d’ombre plutôt que d’en avoir honte, non?


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