Il était une fois en Amérique: quand des gouverneurs républicains s’adonnent à un «trafic de migrants»
Chronique
A l’approche des élections de mi-mandat, notre correspondante raconte la campagne des «midterms» à travers une chronique hebdomadaire. Aujourd’hui, elle s’intéresse aux gouverneurs républicains qui cherchent par tous les moyens à placer le thème de la migration au cœur de la bataille électorale

Une plainte a été déposée mardi contre le gouverneur de Floride Ron DeSantis, l'accusant d'avoir dupé des migrants pour les convaincre de monter la semaine dernière dans un avion à destination de Martha's Vineyard.
Dans le document déposé dans le Massachusetts, certains migrants ainsi qu'une organisation de défense de leurs droits affirment qu'ils ont été leurrés au moyen de bons d'achat McDonald's et de promesses d'assistance une fois sur l'île.
Le gouverneur républicain Ron DeSantis, son responsable des transports Jared Perdue ainsi que plusieurs personnes non nommées sont accusés d'avoir «appâté les plaignants en exploitant leurs besoins les plus fondamentaux» et en faisant de «fausses promesses» d'emplois et de logements.
Selon la plainte portée par le groupement d'associations de défense des droits des migrants, Alianza Americas, ces individus ont «manipulé [les migrants], les ont privés de leur dignité [...] afin de poursuivre un objectif illégal et des intentions politiques».
«Vous niez les problèmes de migrants à la frontière? Vous allez voir ce que vous allez voir!» Voilà l’état d’esprit actuel des républicains Ron DeSantis, Greg Abbott et Doug Ducey. Le premier est le gouverneur de Floride, le deuxième celui du Texas et le troisième dirige l’Arizona. Tous trois s’adonnent à un trafic de migrants, qui provoque la colère de la Maison-Blanche. Trafic, un mot trop fort? Tourisme, alors. Mais les faits sont là: les trois gouverneurs envoient délibérément des migrants vers des «sanctuaires démocrates» du pays. Une sorte de voyage organisé. De cadeau empoisonné, aussi. Du moins dans leur optique.
Des avions et des bus
Reprenons: Ron DeSantis, qui ambitionne de se retrouver un jour à la Maison-Blanche, vient de revendiquer la paternité de l’envoi de deux avions de migrants vers Martha’s Vineyard, une île huppée au large de Providence, dans le nord-est des Etats-Unis. L’île où les Obama passent certaines de leurs vacances et qui était notamment fréquentée par le clan Kennedy. Une cinquantaine de Vénézuéliens y ont débarqué, partis du Texas d’ailleurs, pas de Floride. DeSantis est visiblement prêt à tout pour faire parler de lui. Même à se fournir en migrants dans un autre Etat. Les Vénézuéliens ont très vite été transférés vers une base militaire sur la terre ferme, la Joint Base Cape Cod.
«Exploiter des personnes vulnérables dans le cadre d’un coup politique est révoltant et cruel», s’est empressée de dénoncer la sénatrice démocrate du Massachusetts et ex-candidate à la présidentielle Elizabeth Warren. C’est un «calcul politique» visant à «servir de la chair fraîche à sa base électorale», a enchaîné Charlie Crist, qui défie Ron DeSantis dans la course pour le siège de gouverneur. Karine Jean-Pierre, la porte-parole de la Maison-Blanche, a de son côté parlé de «manœuvre politicienne froide et préméditée». Pour balayer toute accusation d’angélisme, elle a rappelé que les Etats-Unis renverront et expulseront cette année «plus d’individus appréhendés à la frontière que jamais auparavant».
Comme les White Citizen Councils
Avant DeSantis, Greg Abbott et Doug Ducey ont procédé au même type de «voyage organisé». Pour protester, disent-ils, contre le «laxisme» de Biden à la frontière, devenue «passoire». Un moyen de faire campagne surtout: tous trois cherchent à se faire réélire en novembre. Abbott, le père de l’initiative, a envoyé deux bus de migrants vers la résidence de la vice-présidente démocrate Kamala Harris à Washington la semaine dernière. Très fier de son coup, il a récidivé ce week-end. Depuis avril, plus de 10 000 migrants arrivés au Texas auraient déjà pris le chemin de Washington, New York ou Chicago. Avec la bénédiction du gouverneur.
Steve Bannon, ex-éminence grise de Donald Trump, en a d’ailleurs parlé, alors qu’il se rendait, début septembre, au bureau d’un procureur new-yorkais, inculpé pour avoir détourné des fonds liés à la construction d’un mur entre les Etats-Unis et le Mexique: «C’est une ironie. Le jour même où le maire de cette ville a envoyé une délégation à la frontière, ils persécutent des gens ici pour avoir essayé d’arrêter des migrants.» Le maire de New York venait en effet d’envoyer une équipe au Texas pour tenter de comprendre comment ces voyages en bus étaient organisés.
DeSantis, Abbott et Ducey n’ont en fait rien inventé. Comme le rappelle notamment le New York Magazine, ils s’inspirent de la pratique controversée des White Citizens' Councils (Conseils des citoyens blancs) nés en 1954 après une décision de la Cour suprême qui a déclaré inconstitutionnelle la ségrégation raciale dans les écoles publiques. Ce réseau d’organisations suprémacistes blanches envoyaient des Afro-Américains vers les Etats du nord en bus, avec pour seuls bagages de fausses promesses. En 1962, des dizaines d’Afro-Américains ont été ainsi été acheminées en bus vers la résidence des Kennedy de Hyannis, à Cape Cod (Massachusetts).
Abjecte? Le gouverneur Greg Abbott remonte au contraire dans les sondages depuis quelques jours. Et creuse son avance sur son concurrent démocrate Beto O’Rourke. Le maire de New York, qui a constaté l’arrivée de nouveaux bus dans sa ville dimanche, avec certains migrants testés positifs au covid, est bien décidé à ne pas laisser faire. Il n’exclut pas de saisir la justice contre le gouverneur. La bataille ne fait que commencer.
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Notre dossier sur les élections de mi-mandat, à consulter ici
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