Il était une fois les Depardieu
EXERGUE
L’interview de Julie Depardieu prédisant la mort de son père dans les cinq ans a beaucoup fait parler de lui. Et si c’était le meilleur moyen de le tenir en vie?
On ne souffre jamais que du mal que nous font ceux qu’on aime. Le mal qui vient d’un ennemi ne compte pas. Victor Hugo
Mise en ligne lundi, et publiée dans notre édition d’hier, l’interview de Julie Depardieu au journal Le Monde se classe en tête des articles les plus lus sur notre site. On comprend pourquoi. Ce n’est pas un entretien, c’est la réponse du Petit Poucet à Chronos dévorant ses enfants. C’est Julie-Antigone faisant valoir le génie du frère contre la loi du père. C’est Julie-Gelsomina, petite fille malmenée qui cache son mal-être sous un maquillage de clown. C’est Julie-Mafalda et son pessimisme hyperactif.
Le ton de l’entretien oscille entre trivialité et lyrisme, rage et candeur, culpabilité et désinvolture. Du Depardieu pur sucre. Julie parle de Guillaume, son frère aîné, mort il y a cinq ans d’une stupide pneumonie alors qu’il était revenu de tant de comas, et dont elle vient de produire l’album posthume. Elle raconte qu’elle n’a pas cru à son appel au secours, qu’elle avait pensé qu’il voulait encore faire son intéressant.
Mais c’est surtout les passages sur son père qui ont marqué les esprits. Elle dit de lui qu’il est «un voyou», «un handicapé qui ne tient pas en place», «un grand jaloux» qui doit toujours être au centre de toutes les attentions comme un enfant géant. Elle qui s’est fait refaire cinq fois le nez pour ne pas lui ressembler, prédit à son ogre de père une fin imminente: «Dans cinq ans, il est plus là. C’est lui le prochain, je le sais.»
De nombreux internautes, en France, se sont insurgés contre les propos de Julie Depardieu. Comment peut-on parler ainsi de son père? Vouloir sa mort? On la soupçonne, comme la fille d’Uderzo, de n’en vouloir qu’à son héritage. On la traite d’ingrate. Plus généralement, on déplore ces jérémiades d’enfants de stars qui se répandent dans les médias. Bref, en France, sur les sites de droite comme de gauche, on est du côté de Gégé, l’incarnation d’une France qui a dit merde au gouvernement.
Mais ces commentaires ne tiennent pas compte de la dynamique Depardieu. Julie, malgré tout son «nez fort» pour s’en démarquer, est bien la fille de son père, l’héritière d’une mythologie familiale que Gérard Depardieu a souvent racontée, peut-être même un peu construite, notamment dans un article paru en août 2002 dans Le Monde. C’est lui alors qui parlait de sa famille, du Dédé et de la Lilette, ses parents, des taiseux qui n’ont jamais rien révélé de leurs sentiments. Chez les Depardieu, la rudesse était de mise. Et pour dire «je t’aime», on prenait des chemins bien étranges. Sa mère, par exemple, qui lui révéla un jour qu’il avait été son pire cadeau de Noël et qu’elle avait voulu s’en débarrasser avec des aiguilles. Mais il a survécu. Comme Lilette, sa mère-Lazare. Depardieu se plaît à raconter qu’il lui a commandé un cercueil à trois reprises mais qu’elle s’est toujours relevée. Chez les Depardieu, c’était le plus fort qui gagnait. Et le plus fort, c’était le plus vivant.
Julie, que l’on croit mauvaise fille, ne fait au fond que suivre à la lettre les superstitions familiales: si je veux que tu vives, je fais comme si tu allais mourir. Non, décidément, jamais un nez refait n’abolira l’ADN.
Chez les Depardieu, la rudesse était de mise. Et pour dire «je t’aime», on prenait des chemins bien étranges
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