Incidences
Pourquoi faire traîner la négociation d’un accord sur les questions institutionnelles avec l’UE? Il serait avantageux de profiter du délai inattendu qui s’est ouvert dès lors que la Grande-Bretagne tarde à déclencher le processus du Brexit, analyse notre chroniqueur François Nordmann

M. Johann Schneider-Amman, président de la Confédération, qui a reçu M. Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne à Zurich le 19 septembre dernier le reverra à Bruxelles le 28 octobre prochain. Il disposera alors du texte de la loi sur l’immigration tel que la commission des institutions politiques du Conseil des Etats l’aura adoptée quinze jours plus tôt.
Sur cette base, la Commission européenne dira si ces dispositions sont conformes à l’accord instituant la libre circulation des personnes entre l’UE/AELE et la Suisse. En principe, il s’agit d’une décision autonome, les parlementaires ayant privilégié une solution euro-compatible au problème de l’immigration. Ils ont tranché: plutôt le respect des règles du traité qu’une application rigoureuse de l’article constitutionnel, tous deux étant inconciliables. Une alliance s’est nouée entre libéraux-radicaux et socialistes qui ont fini par attirer tous les autres partis dans le rejet des positions de l’UDC.
On va adapter la Constitution à la loi
L’Union européenne n’entend pas s’immiscer dans le débat parlementaire suisse. Elle veut cependant s’assurer que la nouvelle loi ne servira pas à interpréter unilatéralement la clause de sauvegarde sur laquelle les négociateurs suisses et européens divergeaient encore cet été. Cette démarche n’est pas illégitime: il serait vain de faire l’addition sans l’aubergiste.
Deux autres aspects de l’accord qui s’est noué entre les partis méritent encore d’être relevés. Faute de pouvoir transcrire dans la loi les dispositions par trop contradictoires de l’art 121a de la Constitution, on va adapter la Constitution à la loi.
L’instrument pour ce faire sera vraisemblablement le contre-projet à l’initiative RASA qui veut abolir ledit article 121 a. Le Conseil fédéral ou le Parlement proposeront d’inscrire dans la Constitution un article qui donne la primauté aux relations avec l’UE et qui relativise de ce fait toute disposition contraire.
Une concession majeure à l’UDC
Cependant la classe politique offre à l’UDC une concession majeure. Les partis s’entendent pour retarder le fameux accord institutionnel, négocié pourtant depuis 2013 à partir d’un canevas agréé par l’UE et le Conseil fédéral. Il s’agit de créer un mécanisme international pour surveiller l’évolution du marché commun à la Suisse et à l’UE et pour régler d’éventuels différends.
M. Blocher s’était élevé le premier contre ces «juges étrangers». Les partis coalisés contre l’UDC se rallient provisoirement et sans état d’âme à ce slogan. Ils spéculent sur l’affaiblissement de l’UE. De plus, ayant résolu la question de l’immigration sans avoir à négocier avec l’UE, ils estiment que cette dernière n’a plus de levier pour amener la Suisse à régler les questions institutionnelles. C’est une courte vue que l’UE (Commission et Etats membres) est loin de partager.
Il y a dix ans qu’elle insiste pour résoudre ce problème, condition de la poursuite et de la rénovation du bilatéralisme. C’était aussi naguère un objectif partagé par le Conseil fédéral avant le retour en son sein d’un deuxième représentant de l‘UDC.
L’idée d’un recours à la Cour de justice de l’UE était une erreur
Pourquoi faire traîner la négociation? Il serait avantageux de profiter du délai inattendu qui s’est ouvert dès lors que la Grande Bretagne tarde à déclencher le processus du Brexit. Lorsque dans quelques mois Londres aura invoqué formellement l’article 50 du Traité de Lisbonne, l’UE n’aura plus le temps pour un dialogue approfondi avec la Suisse.
Et peut-être à ce stade convient-il de reconnaître que l’idée du recours à la Cour de justice de l’Union européenne était une erreur. Interrogé par la RTS le 21 septembre, M. René Roudeau, ambassadeur de France en Suisse, a parlé plus généralement de la nécessité d’un mécanisme de règlement des différends, notion plus large que la CJUE. Il y a là une ouverture que les diplomates et politiciens bernois feraient bien d’explorer plutôt que de renvoyer aux calendes grecques la conclusion d’un accord auquel nous n’échapperons pas.
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