La votation du 5 juin «En faveur du service public» n’a obtenu le soutien d’aucun parti. Du coup, l’ambiance actuelle est qu’elle ne saurait passer la rampe. Pourtant, elle est lancée par les magazines d’information et de défense des consommateurs des trois régions linguistiques, et il ne faut pas négliger la force de frappe qu’ils représentent, avec leurs 2,5 millions de lecteurs (Bon à Savoir, K-Tipp, Saldo et Spendere Meglio).

Si, comme ils l’affirment, les initiants répondent avec ce texte aux nombreuses plaintes de la population qu’ils enregistrent, il y aurait donc un réel danger qu’ils puissent convaincre. Danger parce que l’initiative ne résout aucun des problèmes qu’elle soulève. Mais, si les solutions préconisées ne sont pas adéquates, les constats sont-ils faux?

La population suisse aime son service public et, par extension, les entreprises qui en exécutent la mission. Elle encense La Poste, les CFF ou Swisscom dans les études de satisfaction. La preuve, Swisscom a gardé une bonne proportion de ses clients lors de la libéralisation des télécommunications, et il concentre la part de marché intérieure la plus importante d’Europe dans le domaine de la téléphonie mobile. Par ailleurs, les études comparatives démontrent l’excellence des prestations délivrées, avec la livraison la plus rapide du courrier (pour la Poste), le réseau le plus stable pour le transfert de données (pour Swisscom), et la meilleure ponctualité des trains et des correspondances (pour les CFF).

C’est en raison de cette qualité que les Suisses sont attachés à leurs services publics avec, pour corollaire, de grandes exigences. Elles se manifestent dès qu’un bureau de poste ferme ou qu’une distribution est supprimée, mais elles sont particulièrement élevées concernant les prix pratiqués. Dans le Rapport d’expert 2011 à l’intention du Contrôle parlementaire de l’administration, il est mentionné qu’«en parité de pouvoir d’achat, les prix de Swisscom se situent dans la moyenne européenne dans le domaine de la téléphonie mobile et clairement en dessous dans la téléphonie du réseau fixe. La Poste se situe en comparaison internationale aussi en dessous de la moyenne de pays comparables. Sans parité de pouvoir d’achat, les prix sont par contre clairement plus élevés aussi bien pour la Poste que pour Swisscom».

Or, les usagers suisses ne calculent pas en parité de pouvoir d’achat (Mme Leuthard non plus d’ailleurs lorsqu’elle définit la Suisse comme un «îlot de cherté») et, dès lors, ils ont l’impression de payer trop cher ce qu’ils achètent. Quand on leur dit en outre que la Poste réalise 645 millions de bénéfices et Swisscom 1,362 milliard, cela les choque et ils pourraient approuver une initiative imposant que ces bénéfices soient réinvestis dans l’amélioration l’offre ou la baisse des prix, au lieu d’être versés à la Confédération.

Quant aux CFF, c’est une tout autre histoire. Parler pour eux de bénéfice est une galéjade. En effet, ils ont réalisé un bénéfice de 246 millions en 2015 mais simultanément touché de la Confédération deux milliards de subventions pour les infrastructures. La globalité de la prestation est donc lourdement déficitaire, alors même que le prix des billets est cher en comparaison internationale. Sachant qu’aux heures de pointe, entre les grandes villes, les trains sont bondés et que, la nuit, c’est l’insécurité qui pose problème, le sentiment d’un bon rapport qualité/prix diminue. Là encore, l’initiative pourrait toucher une corde sensible.

En niant ces constats, la Conseillère fédérale Doris Leuthard fait peut-être fausse route. Elle serait mieux écoutée si, tout en rejetant les remèdes apportés par l’initiative qui sont d’un autre âge, elle reconnaissait quelques bémols au fonctionnement ou au prix des services publics au lieu de marteler qu’ils sont irréprochables, paraissant ainsi sourde aux reproches des citoyens.

mh.miauton@bluewin.ch

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